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Fonctions sociales de la nature 1. L'enquête

Sont présentés ici plusieurs travaux de Denis Duclos demeurés impubliés sur ces sujets. Y sont ajoutés divers articles devenus introuvables.
(Les documents à télécharger sont en fin de page)



Voici l'introduction d'un rapport de recherche sur "les fonctions sociales de la nature" , enquête auprès de chercheurs en sciences sociales qui prépara un colloque sur le même thème.

Fonctions sociales de la nature 1. L'enquête
INTRODUCTION
PROBLEMATIQUE DE DEPART ET EVOLUTION DE L’OBJET DE RECHERCHE


La recherche avait pour premier objectif de faire le point sur les travaux réalisés dans le monde en sciences de l’Homme et de la Société, dans le domaine de l’environnement, et plus précisément sur le thème du rapport entre traits globaux des cultures humaines, et notion de “respect de la nature”.
Il s’agissait, dans un deuxième temps, de cerner les “fonctions sociales” qui peuvent être liées à cette notion de respect, que la référence en soit “le sacré”, ‘l’utilité”, “l’aménité”, le loisir, la contemplation, etc., et d’observer dans quelle mesure ceci s’articule ou se hiérarchise, à partir de ce que les chercheurs en sciences sociales et humaines peuvent constater dans les sociétés qu’ils étudient.

a)-Problématiser la recherche : tester l’hypothèse du primat de la fonction “sociogénique” de la nature.

Les définitions de la nature sont aussi multiples et équivoques que celles de l’environnement. Les collecter sans problématique n’en épuiserait pas les significations variées, sans pour autant en comprendre le fonctionnement culturel réel. Nous nous proposions donc de partir d’un postulat normatif, pour en éprouver -voire en réfuter- la validité, en nous appuyant sur les réactions des chercheurs en sciences sociales et humaines dans le monde.
Le postulat est le suivant : avant toute “utilité” ou toute jouissance, et quelque soit le sens qu’on lui attribue par rapport d’autres réalités, la nature possède une fonction politique primordiale : elle est constitutive de notre conception de la société. Elle est « sociogène ».
Qu’on la prenne au sens antique de « ce qui doit advenir », « ce qui meurt parce que c’est né » (selon Pierre Hadot), au sens moderne cartésien de « ce qui peut être possédé par l’homme », ou au sens plus actuel de « ce qui n’est pas changé par l’homme », la nature est un « nuage conceptuel » qui tourne autour d’un noyau : l’humain lui-même soit comme partie de cette nature, soit comme volonté distincte. « Nature » a toujours pour contrepartie ce que nous mettons à un moment donné sous le mot «culture ».
Toute culture humaine s’organise sur une coupure nature/société. Cette coupure établit une dialectique spéculaire : l’ordre naturel fonde “en vérité” l’ordre social, et ce dernier y gagne du même coup de ne pas être enfermé dans des lois, réglementations, et pouvoirs trop étroitement auto-légitimés. L’objectivation du monde non humain permet de ne pas objectiver la société. La nature peut donc être envisagée comme ce dont l’homme, (à chaque époque) se sépare volontairement par un acte de “non intervention”, visant à constituer des passages, des ressources (), pour ouvrir, renouveler l’ordre social présenté comme transcendant.
Bien entendu, comme l’observent les anthropologues, la coupure nature-culture peut se réaliser sous des modalités différentes : nous pouvons nous comparer à la nature comme en un miroir, la reconnaître comme notre parenté, tenter de la maîtriser comme un cheval fou, ou observer combien nous n’en sommes qu’un élément, un aspect, éventuellement une « pointe avancée ». Mais dans tous les cas, ces grandes directions d’une définition nous renvoient sur le type de société que nous construisons. La nature nous sert à mieux savoir ce que nous sommes, ce que nous faisons ensemble. Elle est décidément sociogène.

Une première grande question découle de ce postulat : dans les sociétés anciennes et actuelles, comment se manifeste cette fonction ?

Un second ordre de questions résulte d’un paradoxe engendré par le même postulat : puisque lorsque ce domaine est présumé “non imputé”, “non-humain”, il ne peut être préservé que par l’intervention. Humaine, et donc politiquement, juridiquement et moralement imputable. Dès lors, comment la culture humaine peut-elle distinguer entre les activités de transformation, et les activités de préservation de la nature ? Quels critères les cultures humaines modernes et actuelles utilisent-elles pour ce faire ?

Observons succinctement comment se présentent ces deux questions dans l’optique de notre recherche.

b)-Le “sauvage” est il le repère d’une nature, nécessaire condition du politique ?

En partant de notre postulat, la nature -non de tel ou tel monde de pratiques spéciales- mais de la culture humaine en général- , n'est pas un objet composite ou hybride, dont il suffirait de dire que l'observateur en est partie prenante, pour être quitte et pouvoir continuer la démarche d'objectivation cataloguante du monde et des humains, mais une sauvagerie préservée. Ceci pour toute une série de motifs combinés. Elle reconduit en fait la question philosophique multiséculaire sur la condition anthropologique, ses nécessités, ses paradoxes, et sa dialectique : question qui a occasionné tant de louvoiements, de retraits, de colères ou de résistances dans l'histoire de la pensée. Et en effet, comment penser sans vaciller tout à la fois le caractère imaginaire et l'absolue nécessité d'un monde non agi par l'homme, ou bien encore agi malgré lui, en tant que l’homme n’est lui-même qu’un élément de la nature ? Comment, aujourd'hui, témoigner d’un monde non parlé par la théorie utilitaire économique, gestionnaire et communicationnelle ?

Tout nous pousse au contraire à ne cesser d'halluciner le monde naturel comme tissé de règles fondamentalement analogues à celles qui produisent, dans le monde humain, à la fois des êtres substantiels et des relations entre eux. C'est la «nature des choses» (natura rerum) , la destinée, qui, depuis l'antiquité, prépare et soutient de mieux en mieux l'assurance du discours de science et de technique, et l'idée d'une autonomie des êtres. En revanche, l'ouverture par la techno-science d'un monde illimité aux opérations de la taxinomie conduit à une crise : il est difficile de ne pas nous rendre compte du caractère compulsif de nos itérations. Et c'est de ce recul critique que se trahit alors la source à la fois passionnelle et logicienne de toute "loi de nature" : la culture.

Autrement dit, nous pouvons soupçonner que plus la nature apparaît comme un ordre en soi, et plus c'est en fait notre culture qui a besoin de cet ordre et de ses catégories pacifiantes de «choses». La perception scientifique et technologique moderne concernerait, sous cet angle, la façon dont se reconstruit l'ordre social soumis aux autres effets -déstabilisants- de cette même science qui échappe à nos heuristiques traditionnelles de traitement de la vie quotidienne. Et, en effet, ce n'est que comme «entités» bien démarquées dans le chaos grandissant, ouvert dans le réel par la question scientifique et ses pratiques techniques, que nous pouvons nous assigner mutuellement à la reconnaissance intersubjective. C'est ainsi bizarrement, en parlant des choses que sont également les humains, que nous nous confortons dans l'idée que nous serions irréductibles à la chose ! Enfin, en parlant “de” choses, nous indiquons que nous ne pouvons nous parler nous-mêmes directement : sujets, nous sommes en deçà de l’objectivation. La chosification du monde (à quoi correspond exactement sa « naturalisation » dans la culture dite scientifique… pour ne pas dire taxidermique ), est un processus par lequel -loin de voir mieux le réel-, nous instaurons un ordre plus visible entre nous, dans le contexte de sociétés humaines démographiquement et techniquement explosives.

Cependant, la méthode qui consiste à se parler, en parlant du monde environnant comporte un risque: quiconque l'applique au premier degré, en y croyant absolument, aboutit à l'effet contraire, celui de penser que nous sommes “vraiment” des choses, et que, par conséquent, l'ordre normatif que nous souhaitons est d'ores et déjà inscrit dans la nature de nos réseaux (neuronaux, par exemple), qui est en fait, un aspect de la nature tout court. Or, sans le maintien d'un arbitraire culturel pour décider en tant que "membres” (et non qu'observateurs), l'intersubjectivité proprement humaine est à son tour menacée, comme le montrent les pathologies psychiques marquées par la disparition de la dialectique règle/nature . On sait par exemple que certains désordres psychotiques se signalent par une disparition de l'opposition symbolique entre nature et loi humaine, soit que le symptôme d'une extrême répression de ses propres pulsions conduise la personne à se vivre «comme une bête», soit que, symétriquement, la perte du sens de l'engagement dans la loi se traduise par un enfermement de la personne dans des séries de signifiants abstraits .
Un aspect important de notre récollection, consisterait ainsi à demander à des psychologues et psychanalystes, comment se présente dans leurs recherches, le rapport psychologique et culturel à la nature.

c)-Que faire de la différence des perceptions culturelles de la nature, dans l’hypothèse sociogénique ?

Une des meilleures écoles de théorisation de la culture constate que, dans nombre de formations sociales traditionnelles ou modernes, on peut rapporter une conception fondamentale de la nature à un type d’acteur social . Ainsi, les hiérarques ou ceux qui vivent d’une société de statut (plutôt que de contrat), tendent à penser la nature comme dangereuse, ambivalente, entre la perversité et la tolérance. En effet, la nature est bien ce qui s’oppose à l’ordre bien structuré de systèmes “rationnels”, et ceci souvent par le paradoxe. Pour les entrepreneurs, les gens d’action, la nature est avant tout ressource, milieu bénéfique auquel on emprunte pour agir, produire, vendre, « arraisonner ». Pour les sectes, les micro-sociétés à caractère égalitaire, la nature est fragile, éphémère. Elle est le reflet de son propre groupe. Pour Les masses d’hommes et de femmes contraints à une situation « enclavée », passive d’exécutants, l’idéologie la plus générale est le fatalisme, qui conduit à une représentation de la nature comme fondamentalement capricieuse, imprévisible. La catastrophe naturelle vient comme vengeance divine à l’encontre de maîtres contre lesquels, à l’état ordinaire, on ne peut rien.
Si l’on prend au sérieux cette topologie sociale générale des espaces culturels, c’est à elle qu’il faut sans doute confronter notre question de la nécessité sociogénique de la nature.
En effet, que la nature soit capricieuse, tolérante, bénéfique ou éphémère, n’est-elle pas d’abord aujourd’hui ce qui demeure hors de l’action humaine ? Sans nature définie comme un monde que l'on se refuse à domestiquer entièrement par la pensée (hiérarchique) ou par le commerce (en brevetant tout le vivant, par exemple) , la culture humaine a besoin pour exister d'une réalité extérieure à soi-même. Or si la bureaucratie ou la production techno-scientifique s'approprient toute la nature (ou la cantonnent à des réserves ou des paysages-musées), elles dessinent un monde d'imputabilité généralisée, où cette nature disparaît. Mais, comme l'imputation universelle peut paraître impossible, car aucun sujet humain ne peut être tenu pour comptable de l'évolution naturelle, même «anthropisée», les cultures (aussi bien sectaires, que fatalistes, aussi bien gestionnaires qu’entrepreneuriales) de l'imputation généralisée peuvent tendre alors à se renverser en leur contraire : elles deviennent elles-mêmes (les totalitarismes en ont été de bons exemples) des natures brutales et agressives. Elles s'écartent de la culture « humaine », et apparaissent à leur tour comme des phénomènes sauvages, qui doivent être contenus, comme la nature sauvage a toujours été contenue pour préserver l'humain.

Par ailleurs, un monde entièrement artificialisé rendrait sa propre science difficile parce qu'elle devrait, pour retrouver son objet, se tourner vers l'action humaine elle-même, celle-ci devenant d'autant plus opaque que l'on chercherait à en objectiver le côté culturel. Un monde qui obligerait le scientifique à en passer par l'infestation de la marque de la règle humaine (par exemple dans la modification appropriative des descendances animales et humaines), serait un monde qui rendrait peu-à-peu la science impossible. Le scientifique n'aurait en effet plus jamais affaire à des choses, mais à des biens. Des sociétés de calcul et de communication "totales" se priveraient ainsi à terme d'un trésor, d'un réservoir de symboles pour se fonder elles-mêmes comme ordres liant des êtres libres (sauvages, non manipulés, non castrés, capables de violences, de désirs etc..).
La nature du monde industriel (eaux et matériaux purs, ressources non renouvelables) est également menacée par la production humaine isolée comme telle, pas seulement par raréfaction des matières premières adéquates, mais aussi parce que l'industrie (pollution thermique incluse) apparaissant comme une entropisation croissante , le sens même de l'utilité de l'activité peut se perdre. L'industrie risque de devenir synonyme de pur et simple gâchis généralisé, et au delà d'elle, l'activité humaine peut être, comme aux temps les plus obscurs de la religiosité, réaffectée d'un signe négatif (le “mal”) C'est qu'une industrie envahissante, retravaillant chaque donnée du réel, ne serait-ce que pour réparer ses précédents dégâts -se faisant ainsi d'autant plus indispensable-, correspond aussi à une tentative fusionnelle entre homme et nature. Si les choses, jamais plus laissées à leur inertie, s'animent progressivement du mouvement permanent des cycles économiques, c'est parce que se déploie l'hallucination qu'elles ne sont que des formes de la volonté humaine Et inversement, celle-ci n'étant consacrée -de façon significative- qu'à la production et à la consommation, comment s'interdire de penser qu'elle n'est là que pour animer les choses, soutenir leur danse supposée spontanée ? Le risque, à travers ce débridage industriel possible, est donc moins la perspective de pénurie que l'émergence d'une sorte d'animisme moderne, au crépuscule duquel l'ordre social et l'ordre naturel seraient si bien confondus qu'ils ne puissent plus se faire écho l'un à l'autre, et sombreraient ensemble dans le magmatique.
Enfin, last but not least, la nature du monde social des parentés (le paradigme le plus anciens des sociétés à statut) ne supporterait pas non plus sans épreuves ou difficiles ajustements une disparition du Sauvage (ou supposé tel), car c'est sur ce matériau brut que se construit -comme le rappelle P. Legendre - tout le jeu symbolique des filiations et des transmissions, à partir duquel les sujets humains se produisent comme effets de langage (nominations, patronymes, rôles parentaux, etc.). Un greffage systématique d'attributs génétiques pourrait ainsi interférer avec l'idée de filiation et produire des brouillages symboliques non négligeables. Qui supporterait sans problèmes l'idée qu'il appartient en partie, dans son origine, à une compagnie qui fut jadis productrice des séquençages génétiques ayant codé des traits de son propre corps ? Mais peut-être n’est-ce là que la réalisation de la prophétie hégélienne selon laquelle nous nous destinons à devenir nous propres esclaves collectifs.

Le droit à demeurer humains (qui pourrait un jour être précisé dans la déclaration universelle des droits de l'homme) paraît donc impliquer, dans divers domaines, de se distinguer d'une nature maintenue ou réinventée : ce qui revient à établir celle-ci comme un point d'appui pour s'en détacher ; et implique de la conserver comme telle, et de la respecter pour mieux s'en démarquer soi-même Notons que ce vis-à-vis entre nature et culture distinctes fut le paradigme même de la prohibition de l'inceste , bien avant d'être la condition de la rigueur scientifique, ou le matériau de la société industrielle ) : c'est en effet comme intouchée, maintenue dans une nature non modifiée par son descendant, que la mère apparaît comme rôle social défini. De la même façon, il semble inévitable qu'il existe de l'inaltérablement sauvage, non pas pour des motifs économiques de bonne gestion des ressources, mais d'abord pour soutenir la différence avec ce qui est de l'ordre culturel, par lequel nous nous reconnaissons membres d'un pacte social.
Située au cœur des risques technologiques, la responsabilité du scientifique et de l'industriel n'est donc pas seulement économique et sociale, comme le rappelle Hans Jonas . Elle est aussi culturelle au sens le plus fort que la sociologie et l'anthropologie aient pu donner à ce terme. L'industriel, le savant ou le technicien ne peuvent pas en même temps se considérer partie prenante d'une évolution naturelle irrépressible (“on n'arrête pas le progrès”), flux cognitif et technique sans sujet pour en répondre (“si ce n'est pas moi qui le fait, c'est la concurrence qui le fera”), et revendiquer le statut de citoyens de la planète. Il faut sans doute choisir : où bien être des humains partie prenante d'un processus de maintenance civilitaire, ou bien être des agents d'une évolution naturelle (darwinienne ou eliasienne), d'où la culture est niée comme implication subjective. Si l'on choisit le premier cas de figure, il est alors nécessaire que cette culture se démarque de son environnement naturel, reconstruit comme une aire suffisamment vaste de non activité (symétrique du neg-otium) pour que les êtres humains y retrouvent leur contour distinct.
En tout état de cause un débat simultané avec l'écologie scientifique, avec l'économie écologique ainsi qu'avec la philosophie et l'anthropologie du rapport nature/culture, semble aujourd'hui indispensable pour une sociologie qui prétend rester en phase avec les évolutions épistémologiques les plus fécondes. Nous devons désormais être plus précisément au fait des échelles d'impact possible des activités humaines, de tous ces nouveaux pouvoirs réels qui fragilisent en même temps l'espèce, parce que c'est de plus en plus en fonction de ces impacts réels que la culture déploie et modifie ses formes conventionnelles et ses modes imaginaires .

Existe-t-il des systèmes de changements culturels face à la nature ?

-Rôle et limite du sacré comme principe de respect de la nature ?
L'idée de M. Serres d'une nature avec qui l'on pactise (par un lien de droit) sur la base même de sa naturalité (non culturelle) ouvre une perspective d'apparentement, de proximité, et donc de respect. Notons pourtant qu'il semble s'agir dans son esprit d'un mécanisme analogue aux pactes ancestraux du “sacré”.
Une première objection au rôle du sacré sustentateur de la nature est que cela peut se réaliser “contre” l’humain. A Edgar Morin évoquant l’unité cosmos-homme chez les Aztèques comme exemple d’harmonie culture-nature, rappelons que le soutien obsessionnel du mouvement des astres par cette culture hyper-hiérarchique impliquait le sacrifice de milliers de personnes par an. Peut-être le réemploi du mythe grec de Gaïa conserve-t-il d’ailleurs quelque chose d’un désir de “se débarrasser” de l’humain trop envahissant. surtout quant on l’associe aux thématiques apocalyptiques de la “bombe démographique”.
En second lieu, le sacré est-il efficace pour soutenir la nature ? Il est certes l'expression la plus connue des symboles susceptibles de bloquer des logiques d'action préconstruites, mais il repose -comme on l'a abondamment démontré -, sur un lien aléatoire et fortuit avec les raisons pratiques des interdits qu'il promulgue (raisons sanitaires, par exemple). En revanche il est étroitement lié à un système épistémologique : on a beau parler de la “nécessité” du sacré pour pallier la nuisance, on ne peut en trouver aisément la démonstration actuelle, pour la raison qu'il ne peut plus s'étayer sur un savoir incontesté.
Et surtout, comme nous l'avons constaté de visu dans le cas du développement de l'Inde , d'anciens cultes de la nature (notamment de l'arbre) peuvent rester vivaces dans des régions mêmes qu'affecte aujourd'hui une industrialisation forcée, mais celle-ci demeure acceptable par ceux qui la subissent, précisément parce que le sacré permet la transposition symbolique qui rend inutile le maintien du référent naturel . L'arbre sacré cache (mal) la forêt massacrée.

-d’autres types de “charnières culturelles” ?

Il faut donc aller chercher, pour la saisie du réel du risque, un mécanisme un peu différent du sacré, et que nous étiquetterons ici : "bricolage mythique de l'exception à la règle". Le fonctionnement en serait le suivant : l'objectif pratique de l'amendement à apporter au système symbolique-maître est en fait déjà présent (par exemple, créer une catégorie susceptible de légitimer l'arrêt de la pollution). On va donc, comme par un effet de "déjà vu", construire l'impression subjective qu'il existe dans les références disponibles des cas -entièrement intelligibles et licites- pour lesquels les actions normalement exécutées de façon "inexorable" doivent être stoppées, ou réalisées autrement .

Pour situer le plan des régulations sociétales du risque que nous proposons d'explorer dans ce registre, citons quelques apologues significatifs, même sans rapport direct avec le risque technologique. Dans certaines populations du Moyen-Orient, la logique de la vendetta familiale est impossible à enrayer. C'est un système inexorable et fermé, fondamentalement schismogénique. Cependant, si la future victime parvient à sucer le sein d'une des femmes de la famille offensée, il devient "frère de lait" et ne peut donc plus être tué. Voilà un système symbolique qui inclut sa propre défaillance, à la source même des mythes qui soutiennent l'intelligibilité du monde familial: il est de ce fait "civil" au sens utilisé ici Au contraire chez les Hima, nomades ougandais, cités par M. Douglas dans “Risk and Culture” , le tabou du contact entre femmes et troupeaux a conduit à la destruction de cette ethnie, quand le besoin de main d'œuvre (et donc la mise au travail des femmes pour garder les bêtes) s'est fait sentir du fait de l'extension des aires de pâturage, pendant la sécheresse sahélienne. Le système culturel dont ce tabou était un élément essentiel s'est avéré trop rigide pour assurer la survie collective par le "changement technologique": on a préféré disparaître plutôt que d'admettre la nécessité du contact tenu pour impur. Aucun mécanisme civilitaire n'a permis d'amender ou d'ouvrir le système. Voila un système symbolique fermé (incivil).
Rapportons ces éléments à nos risques technologiques actuels : nos systèmes de références culturelles (basés sur la science et l'hypothèse de la démocratie économique "cybernétique") peuvent-ils s'adapter en trouvant dans leurs critères dualistes d'opposition entre autorité (cachée) et autonomie cybernétique (officielle), des modalités de contrôle culturel et éthique ? Cela est loin d'être évident. Pourtant on peut interroger directement certains changements de pratiques : un industriel de la chimie , dans un secteur très polluant, décide un jour de placer au cœur de sa politique la prévention maximale du risque, le recyclage et la recherche de l'innocuité des nouveaux produits. Il change complètement de système de références : au lieu d'utiliser des métaphores militaires (sur la guerre économique, le refus de faire la part belle à ses concurrents, etc..), ce qui le conduisait à une série de récriminations contre le public irrationnel, l'administration tatillonne etc., il se prend à penser en termes de vertu : le produit doit être propre depuis le départ et suivi jusqu'à sa “tombe”, l'entrepreneur doit avoir un code de bonne conduite, la qualité et la sécurité doivent et peuvent être séparées du profit, car elles finiront tout de même par rapporter, ou, à tout le moins, par éviter une condamnation morale à l'entreprise. Par ailleurs ce même entrepreneur découvre qu’on ne peut pas manipuler les gens éternellement par de la publicité s'il y a tromperie sur les effets réels, etc. Quelques temps après, il se rend compte qu'avec ce changement de repérage symbolique, des changements organisationnels deviennent indispensables: au lieu de mettre l'accent sur la gestion financière à court terme, il s'avère qu'il vaut mieux privilégier les métiers de fabriquant et de commerçant, deux types d'action qu'il avait justement négligé de développer depuis plusieurs années, malgré les débordements de toute une idéologie gestionnaire et managériale officielle.
Comment interpréter un tel changement ? N'est-il pas significatif du potentiel d'alternance symbolique de nos systèmes de référence, alors que nous sommes dans une situation d'apparente "nécessité économique"? Ne sont-ce pas des ressources -disponibles par leur ambiguïté à l'interprétation différente- du système opposant morale et objectivité économique qui permettent des basculements d'une rationalité à l'autre ? Dans ce cas, on pourrait penser qu'il existe aussi des limites aux écarts possibles à l'intérieur de ce réseau de références.
L’existence de tels “tourniquets” dans le système de références correspond à une ouverture, dans laquelle revient inlassablement la question venant du réel : par exemple le risque majeur face aux apories du calcul probabiliste. Il est possible que ce soit à l'abri, pour ainsi dire, de ces régions poreuses d'une axiomatique que naisse en fin de compte la possibilité de changements graduels, ou de basculements silencieux vers de nouvelles épistèmés (qui sont toujours aussi de nouvelles alliances).

Nous allons maintenant étudier comment se présentent les réponses des chercheurs interrogés à l’exposé de cette problématique.



Fonctions sociales de la nature 1. L'enquête

annexes, liens, autres contributions à la question de la nature

La nature et sa nostalgie : une affaire de famille.
Voir un texte d'Alexandre Duclos :
http://europalinka.unblog.fr/2009/07/19/la-gestion-de-lenvironnement-comme-disparition-de-la-nature/#more-163

Mardi 10 Février 2004 - 00:00
Lundi 31 Août 2009 - 15:08
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