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Qu'est ce que la Géo-Anthropologie ? Qu'est-ce que l'anthropologie pluraliste ?


Peut-on parler de la pluralité sur une arène du Monde sans être déchiqueté par un fauve ?

J'ai publié le 15 février 2012 sur le Monde.fr une tribune de 635 mots à propos du débat sur les civilisations inauguré par m. Claude Guéant, et je la reprends ci dessous, pour une discussion et sans avoir à me soumettre au petit chantage du Monde à l'abonnement comme droit d'entrée pour répondre.
Ce texte a été l'occasion de quelques recommandations sur Facebook (18) et de cinq réactions,dont une, injurieuse, a été retirée par le webmaster. Sur les quatre réactions restantes (voir ci dessous), trois sont postées dans un état d'esprit perplexe, interrogatif, et non agressif. L'une d'entre elles prend un ton de jugement définitif, à partir d'une supposée érudition (cette fois ramassée en 79 mots prétendant résumer le bon savoir sur l'empire romain !). J'y réponds dans un but d'étude du média actuel. Toute réaction sur mon site est évidemment bienvenue,sauf trollerie trop insultante.



La pluralité est l'avenir de la civilisation humaine
(voir réactions et réponses au dessous du texte)

Les civilisations ne sont pas des choses, des entités mais des processus, des progressions, des affinements, des ouvertures, des mélanges. Ce sont essentiellement des conversations. Il n'est donc pas légitime – sauf naïveté ou perversité – de porter des jugements péremptoires sur l'effort permanent des êtres humains pour se "civiliser". On peut en revanche douter des intentions de ceux qui prétendent civiliser les autres.
Chacune des civilisations – pour autant qu'on peut l'isoler des autres – part d'un état des sociétés qu'elle rassemble, et dont les Etats nations et les religions ne sont que des aspects ou des fragments. Il est certes possible – et hélas fréquent – que les processus de civilisation traversent des moments tragiques où grandissent les antagonismes et les inégalités, où se déchaînent les conflits.
Il existe des régressions, et l'affaiblissement récurrent des civilisations est un phénomène indéniable. En général, toutefois, le recul n'est pas dû au type de civilité auquel les gens prêtent ensemble de la valeur, mais bien plutôt à la difficulté de le faire reconnaître et progresser : l'écrasement du peuple "citoyen" (cœur de l'idéal antique) par un Etat trop pesant et réduit à l'aristocratie fut cause première de la chute de l'Empire romain, et non les invasions par d'autres civilisations. Plus tard, ce n'est pas la fusion des thèmes égalitaires hellénistiques et judaïques dans le "christianisme" qui a entraîné la succession des massacres tissant l'histoire européenne – puis celle des Amériques –, mais plutôt la compétition pour diriger une "chrétienté" de croisades puis de colonisations intérieures et extérieures, visant notamment à réduire la liberté des cités et à asservir le labeur. L'autoritarisme "régalien" qui colore encore nos régimes présidentiels et élitaires est un héritage direct de cette histoire et de ses tentations constantes de dériver à l'opposé de la démocratie.
L'esprit de liberté au cœur de la "civilisation anglo-saxonne" rencontre aujourd'hui comme hier des problèmes découlant de ses propres contradictions : lorsque la liberté devient source d'une domination impériale puis financière mondiale, elle se combat elle-même et réduit sa capacité de conviction. La civilisation largement (mais pas totalement) rassemblée par l'islam avait surtout pour but de permettre la paix et l'hospitalité entre groupes attachés à la liberté de mouvement et de commerce. C'est plutôt le militarisme moderniste plombant ses sociétés sous des hiérarchies figées, copiées des empires du Nord, qui a bloqué ses traditions les plus humaines et ses potentialités les plus vivantes, en connivence avec une logique dominatrice étrangère.
Quant au grand ensemble des civilisations d'Asie du Sud-Est, elles n'ont pas attendu les canonnières occidentales pour cultiver un sens de l'humain et de l'universel que nous avons peine encore aujourd'hui à apprécier dans leur intelligence. Que le PCC serve en ce moment de plus grand marchand de main d'œuvre du monde au service du capital mondial illustre plutôt la capacité de ce dernier – d'origine largement occidentale – de s'en prendre aux civilisations les plus avancées et les plus fécondes en inventions.
Le philosophe politique américain Samuel Huntington (mort en 2008) a eu tort d'insister sur le conflit entre civilisations, et donc sur leur comparaison : le conflit est surtout généré par les intérêts ou les passions qui se situent aux marges de la conversation intercivilisationnelle.
En revanche, il serait dommage de nier que chaque civilisation apporte quelque chose d'à la fois incommensurable et spécifique à la pluralité humaine, se réalisant sous sa forme désormais planétaire. Pour n'évoquer que quelques aspects, ne croit-on pas qu'il manquerait quelque chose d'essentiel au monde si l'intuition cosmologique chinoise ou indienne ne répondait pas au scrupule des Lois et des Droits typiquement occidental ? Et si la société du village ne continuait pas à vivre dans ses brousses silencieuses à l'abri des médias, tandis que celle des nomades persiste à voyager sur l'immensité entre les murs, les caméras et les champs de mine des pires antagonismes nationaux "modernes" ?

Enal 15/02/12 - 14h41

Discours idéologique, bourré de lieux communs, d'affirmations non démontrées. Par ex.""l'écrasement du peuple "citoyen" par un Etat trop pesant et réduit à l'aristocratie fut cause première de la chute de l'Empire romain". Sauf que, justement, la période aristocratique, avant l'Empire, a été conquérante, l’Empire a reposé sur un état fort adversaire de l’aristocratie sénatoriale et la décadence a été le moment où la citoyenneté à été accordée à tous les hommes libres. Le reste est à l’avenant. Répondre

Cher Enal, première remarque, si j'avais lu ce texte dans une conférence à laquelle vous assistiez, vous m'auriez plutôt présenté vos objections dans un style plus doux (lire le livre de Jacqueline de Romilly sur la douceur dans l'antiquité), sans doute sous forme de questions. Par exemple : "est-ce que ce fut la pesanteur de l'Etat et sa soumission à l'aristocratie qui furent vraiment causes de la chute de l'empire ?" Mais l'anonymat et le peu de place vous ont poussé au ton hautain, dépréciatif et expéditif.
On ne peut pas résumer correctement un pan d'histoire en quelques centaines de mots sans risques "d'affirmations non démontrées". De toute façon, en sciences humaines, on montre plus qu'on démontre, et si vous lisez Peter Brown, un grand historien de l'antiquité tardive, vous ne trouvez aucune "démonstration". Sur ce que vous mettez en cause, l'ascendant pris par l'administration impériale sur le Sénat n'a jamais enlevé le caractère aristocratique de ce système, et l'a même aggravé : peu avant la chute de Rome, les Gaules étaient possédées par une poignée de propriétaires. L'Etat fort -comme celui de Louis XIV ?- a beau avoir dompté et curialisé la noblesse- il ne l'a pas abolie. Quant à la crise concomitante de la généralisation de la citoyenneté, il ne faut pas se tromper entre la cause et l'effet : ce n'est pas la "démocratisation" qui produit la crise,mais l'inverse : elle a été une tentative de dernière chance pour la différer, l'aménager, la faire reposer sur les épaules de tout le monde, ce qui a évidemment précipité la catastrophe (un peu comme aujourd'hui, le fait de faire porter le résultat de la folie spéculative sur les contribuables.)
Je ne pense pas que la majorité des historiens spécialisés me contrediraient sans nuances sur ce point.
Et malgré la phrase de Philippe Descola sur le fait que les professeurs s'entre-déchirent (ce qui n'est pas faux),la société du spectacle aggravée par Internet (qui heureusement ne s'y réduit pas) est tout de même le paradigme du "circenses" antique modernisé. Elle encourage notre côté "chiens d'attaque". Le ton incivil et péremptoire de votre intervention le confirme, hélas.
Vous avez été piégé,comme moi, par le cirque médiatique, vous en position de fauve (peut-être rendu plus affamé encore par une excitation partisane préalable), et moi en position de victime baillonnée (sauf à m'abonner 6 mois au Monde pour avoir le droit de vous répondre : il faut bien que le cirque rapporte !)



keora 15/02/12 - 10h20

Devons nous cependant tolérer le sort fait aux femmes dans certaines civilisations ? Ne devons nous pas combattre l'obscurantisme qui sévit jusque dans les pays "civilisés" comme les USA ? La vraie injustice est celui de la naissance, que l'on soit papou ou breton. Répondre

Raphaël C. 15/02/12 - 13h45

"Dans certaines civilisations" ? Quand allez vous cesser de confondre sciemment "civilisation", "culture", régime politique" ?

CHRISTIAN T @ Raphaël 15/02/12 - 15h38

Depuis 15 jours, il faudrait distinguer culture et civilisation qui ont été employés pendant des siècles indifféremment et qui le sont tjrs dans de nombreux pays. Sinon, je suis bien d'accord pour distinguer Civilisation et Régime Politique. Si le nazisme n'est qu'un régime politique, pourquoi établir une relation avec la civilisation occidentale et si c'est une civilisation, cette civilisation n'est pas la civilisation européenne. A couper les cheveux en quatre, vous vous coincez.

Dimanche 19 Février 2012 - 08:54
Dimanche 19 Février 2012 - 10:55
Denis Duclos
Lu 741 fois


1.Posté par Denis Duclos le 16/12/2014 15:34

Je n'avais pas lu ces commentaires en leur temps. L'aigreur de certains d'entre eux m'agresse pourtant encore des années après (voir le numéro du courrier international sur "quel genre de troll suis-je ?.") Ce ton ne serait pas de mise face à face à un conférencier. Finalement, c'est une sorte de lâcheté.

Sur le fait d'être "coincé", c'est plutôt le lecteur aigre qui en est victime. Il ne cherche pas à comprendre : bien entendu, le nazisme n'est pas une civilisation; ce serait absurde. Ce fut en effet un régime issu du politique, mais se détruisant comme tel dans la dictature et l'horreur exterminationiste. Mais émergeant et sévissant au sein de la civilisation occidentale (en son coeur historique européen), le nazisme a blessé profondément cette civilisation. Il en a montré la fragilité interne et sa limite paradigmatique. En un sens, il a tenté de la détruire.
La différence entre civilisation et culture (outre le fait que le mot "culture" vient surtout de la pensée allemande), c'est que la culture désigne toute sorte de sociation, toute échelle d'organisation humaine, petite ou grande, parce qu'à toutes ces échelles le Fait Culturel universel se produit : on parle avec autrui et on construit avec lui une expérience collective. La civilisation ne concerne qu'une échelle de ces phénomènes : la plus vaste et la plus durable jusqu'à ce que se forme la société-monde. A noter à ce propos que seules existent "objectivement" (comme concepts) des cultures : car civilisations, communautés, sociétés, peuples, etc.. sont des notions subjectives, portées par les protagonistes eux-mêmes, on bien encore déniées par eux. Que les "savants" finissent par reconnaître une certaine consistance à telle ou telle de ces auto-nominations, n'atténue pas leur caractère "arbitraire".

Cela dit, il existe bien des échelles de phénomènes, et ce n'est pas couper les cheveux en quatre - attaque très sotte- que de les différencier ainsi que les genres de cultures. On ne confondra pas la solidarité familiale ou celle du petit groupe avec celle d'une tribu, d'un village, d'une ethnie, d'un peuple, d'une nation, d'une civilisation, parce que chacun de ces types de rencontres ont leur valeur, leur force, et leur légitimité relativement indépendamment des autres. Si vous faites dépendre la plus faible d'entre elles de la plus forte, vous risquez, à terme d'écraser cette dernière sous son propre poids. C'est ce que fait notamment la société actuelle au travers de la métaphore économique et administrative des "populations". Il faut donc se résoudre, m. le donneur de leçons, à accepter ou tolérer une certaine multidimensionnalité de l'être humain. Si l'Allemagne nazie avait accepté de se reconnaître comme société et pas seulement comme "communauté", elle n'aurait pas eu à subir -et à faire subir- l'expérience effrayante qui fut son destin. Parfois "couper les cheveux en quatre" évite d'avoir à tondre les détenus de l'autre race honnie, avant de les exterminer en masse.

2.Posté par Denis Duclos le 16/12/2014 15:49

A propos des "civilisations injustes", il semble exister un penchant à faire équivaloir "civilisation" et "bien"; certes, Claude Lévi Strauss pouvait dire qu'aucune société ne pouvait être absolument mauvaise, mais de là à soutenir que la "civilisation" est obligatoirement plus humaine, juste, etc. que la "barbarie", c'est prendre pour argent comptant une auto-définition angélique. Une civilisation désigne surtout la façon dont le grand collectif limite les actions violentes des petits collectifs ou des individus. Le "processus de civilisation" est, selon Norbert Elias, un processus d'interdiction progressive et irréversible des réactions individuelles spontanées. C'est sûrement un bien pour ceux qui en ont à souffrir directement, mais cela n'entraîne pas du tout que la civilisation ne comporte pas sa propre violence, à terme écrasante pour tous ses membres. Sinon, pourquoi serait-elle "mortelle", selon le mot assez lucide de Paul Valéry ?

Cela dit, je vous accorde que quand Solon, Clisthène, ou les Gracques, militent pour empêcher l'extrême appauvrissement et l'esclavage pour dettes des citoyens, ils agissent dans le sens d'une "civilisation" des maîtres et prolongent d'autant la survie de ces derniers au sein d'une société supportable. On peut sans doute en dire autant des moments où le statut de la femme a progressé. Encore faudrait-il alors bien distinguer le progrès vers plus d'égalité et d'équité entre les sexes et la tendance profonde à pousser l'individu géré en masse vers l'uniformité. Le problème est alors que c'est la même société qui se révèle plus "civilisée" en respectant les femmes, et plus "inhumaine" en s'orientant vers une gestion comptable de tous les vivants humains.

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