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Qu'est ce que la Géo-Anthropologie ? Qu'est-ce que l'anthropologie pluraliste ?


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Ma liberté comme indétermination d’autrui protège Gaïa

cet article rassemble le prologue et premier chapitre de mon livre à paraître "la rencontre, ou : comment le sujet humain et le collectif peuvent se tolérer pour épargner Gaïa".(disponible sur Amazon en décembre 2016).



1. Unir Gaïa et l’Humain contre l’anthropocène (Le Sujet peut-il circonscrire le cancer systémique ?)

Ce livre a commencé, il y a quatre ou cinq ans, comme un travail sur l’accord : un accord qui resterait libre sans tourner à l’arnaque systématique.
Cette question peut sembler absconse. En réalité, elle nous concerne tous, nous autres, habitants d’un monde social si nombreux, si vaste, que nous nous sentons sans cesse menacés par la trahison de ceux qui nous dirigent, par masses gigantesques de travailleurs et de consommateurs. Et trahis par nous-mêmes dans notre impuissance à résister et à vivre une vie assez digne de l’être.
Je crois avoir quelque peu progressé dans le problème et dans sa solution : la question n’est pas tant de découvrir comment empêcher la crapulerie (ce qui est sans doute impossible, sa répression féroce lui permettant de s’épanouir chez les répresseurs).
Il s’agit plutôt de comprendre comment tous les Humains, bons et mauvais, ont affaire au monstre qu’ils créent ensemble sans le vouloir vraiment, et dont la vie propre, exactement comme un cancer, finit par s’opposer à la leur.
La métaphore du cancer a été usée : elle n’est pas fausse ni inutile pour autant. A condition d’admettre qu’un cancer n’est pas du tout une anarchie cellulaire, mais un ordre vital qui s’oppose de manière collective et organisée à celui de l’hôte. Nous savons d’ailleurs aujourd’hui que c’est à peu près le cas : le cancer ne s’oppose pas à lui-même, et construit ses propres réseaux sanguins et lymphatiques, ses propres structures de défense immunitaire (empruntées ou transformées). Il s’agit bien d’un organe, voire d’un organisme qui se comporte comme s’il voulait survivre en tant que tel, sauf pour le fait ultime dont il ne connaît pas la parade : la mort de l’être qui l’accueille, et par conséquent, la sienne.

Dans le cas de ce que nous pouvons appeler le « système anthropique » (ou anthropocène), la mort de Gaïa, le « système-nature » dont il cherche avec acharnement à prendre la place sur la Terre, entraînera aussi la sienne, bien que pour des raisons qui ne sont pas évidentes a priori.
D’un certain côté, on pourrait penser que l’unité même de Gaïa produit une réalité vitale très robuste dont l’anthropocène hérite en quelque sorte. C’est sans doute faux puisque le fait d’être isolée -à une échelle spatio-temporelle importante- induit une grande fragilité: à la différence des espèces et individus qui la constituent, elle ne peut pas compter pour elle-même sur les mécanismes de reproduction afin de diversifier la vie et lui donner, au long des temps évolutionnaires, de nouvelles chances.
En revanche, la diversité nécessaire s’instaure à l’intérieur de la biosphère, ce qui interdit du même coup de faire de celle-ci un organisme comparable à celui d’un de ses composants individuels ou spécifiques. En fait, Gaïa n’est pas un organisme, mais un monde d’organismes, et c’est en tant que monde qu’elle est mise en danger, précisément par la formation, à sa place, du pseudo-organisme unitaire qu’est l’anthropocène. Et c’est parce que l’Humanité en tant qu’espèce semble vouloir animer la planète comme si elle était un unique organisme qu’elle représente un danger mortel à la fois pour Gaïa, son monde, et pour chaque être vivant. Le cancer est ici, moins que jamais, une anarchie, mais au contraire une mise en ordre parfaitement inopportune.
Ce qu’il faut donc comprendre, c’est la nature de ce qui nous pousse à vouloir devenir un unique organisme à la surface de notre monde. D’où vient cette pulsion proprement cancéreuse inhérente à l’humanité ?
Une question subsidiaire importante se présente alors : est-ce vraiment parce que l’anthropocène veut se substituer à Gaïa que celle-ci doit mourir ?
Nous devons, de fait, répondre à ces deux questions en même temps, puisqu’en résolvant la première, nous disposerons d’une appréciation quant à la seconde. Nous pourrons établir si ce cancer humain est destiné à tuer, ou, au contraire, s’il ne va pas former une nouvelle entité hybride, dotée d’une bonne espérance de vie, voire d’une « augmentation » de celle-ci.

Cette enquête m’a conduit, hélas, à répondre négativement, et de manière formelle, à cette espérance de science-fiction. La cancérisation humaine de Gaïa tuera celle-ci à coup sûr.
Mais la raison de ce pronostic ferme n’est pas, étrangement, parce que Gaïa ne supporterait pas l’anthropocène parachevé. Au fond, nous n’en savons rien : il est possible que, de ses ressources insondables, notre vieille Terre (comme disait le Capitaine Haddock) puisse faire surgir des miracles capables d’apprivoiser notre terrible espèce. Il est d’ailleurs possible, en faisant preuve de quelque vanité, que la simple prise de conscience de notre problème actuel finisse par faire émerger des réactivités capables d’enrayer les éléments mortifères du déferlement technologique et culturel humain.
Mais la découverte importante ne porte pas sur celles-ci, ou plutôt, elle pointe un aspect particulier de ce qui réside au cœur de notre pulsion d’emprise organisée : sa nature subjective.
Donnons d’emblée une expression simple du problème, avant que de le déployer dans le livre : ce n’est pas en tant qu’animaux humains que nous procédons à la destruction systématique des agencements pluralistes de Gaïa pour leur substituer notre ordre mondial, mais en tant que nous parlons, et que nous sommes donc des sujets : ceux d’une conversation globale où s’échangent des propositions concernant, notamment, le devenir de notre monde.
C’est parce que l’ensemble de toutes les conversations humaines « choisit » progressivement l’anthropocène et non Gaïa que nous sommes irrémédiablement emportés vers la destruction de cette dernière, qu’il y ait ou non survivabilité résiduelle de la résultante.
Nous pourrions ici nous arrêter à une sorte de pari, misant pour ainsi dire sur l’ingéniosité et la chance de notre espèce. Tout miser sur l’anthropocène, « pourquoi pas ? », demanderait-t-on (en reprenant la fameuse formule des explorateurs du XIXe siècle), même s’il s’agit d’un pari qui ressemble à la roulette russe.
Mais le fait que la culture humaine soit fondée sur la subjectivité constitue un trait paradoxal qui rend ce pari caduc. En effet, l’anthropocène apparaît comme une construction totale par définition, et qui, de ce point de vue, clôt définitivement l’ère de possibles débats à propos d’un avenir différent. Ce qui signifie tout simplement l’arrêt de la pulsation pluraliste qui est le contexte indispensable à notre subjectivité comme échange de paroles. Si nous n’avons pas un monde distinct de nous à propos duquel nous diviser pour « aller plus loin », nous risquons de sombrer dans une autoréférence mortelle, une mécanisation robotique d’où le sujet s’absente sans pouvoir aller ailleurs (nos futurs astronefs obéissant à la même culture).
Cela signifie que si l’anthropocène l’emporte complètement comme projet collectif, il risque de tuer la subjectivité qui lui a servi de « porteuse », et du même coup, de s’immobiliser lui-même comme projet pour devenir une pure répétition mécanique, animée, comme le disait aussi Hegel, du seul « mouvement des choses mortes ». Et c’est sans doute cette répétition automatique de l’extension et de la fermeture sur soi de la structure résultante qui ne saurait s’arrêter avant qu’elle ait dévoré et consumé entièrement la nature.
Ceux qui, reprenant un fantasme hégelien édulcoré par Francis Fukuyama, s’imaginent entrer dans la « post-histoire », ne comprennent évidemment pas que c’est tout simplement impossible, à moins de détruire la subjectivité humaine, laquelle respire la pluralité des positions, qui, à son tour, sous-entend un monde physique et vivant qui n’a pas déjà été digéré par une culture unique.
Ce monde extérieur à la culture humaine vivante lui est indispensable parce que lui seul garantit à cette culture de former sa nécessaire pluralité interne en s’appuyant sur des possibles « non humains ».
Dans la parole qui est notre spécificité d’Humains, nous sommes des sujets distincts, pluriels, et ces derniers sont toujours à la fois des « assujettis » à cette culture, et des « souverains » de celle-ci pour autant qu’une parole doit être libre et libératrice des autres sujets pour être valide. Le sujet humain est une fiction nécessaire, qui représente à la fois la condition de l’organisation collective la plus massive et sa récusation permanente du côté d’une « souveraineté » de ce même sujet.
Nous ne pouvons sortir de ce paradoxe qu’en liquidant notre humanité (du côté de l’animal ou du robot), mais comme y demeurer est à la fois notre désir, et une idée difficilement supportable, la solution se trouve dans un différé permanent, lequel doit prendre la forme, à certaines étapes, de retours sur des moments plus vifs de la parole, de la métaphore qui la caractérise comme conversation.
En ce sens, nous ne pouvons pas continuer notre histoire dans la même direction perfectionniste linéaire, au risque de rencontrer la néantisation de la parole comme destinée collective, voire l’anéantissement du monde extérieur que vise ce perfectionnisme comme emprise totale. Et nous devons nous accoutumer à l’idée que, pour avancer sans aller vers cette perdition dans un progrès univoque, nous pouvons et nous devons envisager plutôt notre histoire comme une spirale.
L’éternel retour (saisi naguère comme fantôme par l’hallucination nietzschéenne) est donc la fois inéluctable de temps en temps et toujours légèrement différent. Il ne s’agit pas d’entrer dans une zone de bégaiement mécanique, ni de lorgner vers le passé pour le réviser une fois de plus (1) . Il est plutôt question de reconnaître que, puisque nous ne pouvons pas sortir du phénomène de la parole et de sa conversation, il vaut mieux savoir que nous devrons toujours, de loin en loin, retourner à un état proche du moment où nos actes de paroles sont moins étiolés, plus vifs, moins proches de la réification terminale.
Revenons donc, par exemple, à la métaphore de la navigation à voile : la ruse du combat avec l’eau et le vent nous incite à une marche « de biais », au plus près du vent contraire (debout) quand c’est possible sans reculer (vers les écueils), et au «grand largue » et au vent arrière, quand on peut filer droit sans trop tanguer.
Cette avancée de biais tissée de bords tirés avec patience ne sort pas du monde viable (au dessus de l’abîme), tout en gardant un cap : aller plus loin en avant vers un but encore non réalisé.
Cette métaphore est bonne, meilleure en tout cas que celle de la « démarche en crabe ». Elle nous valorise plus, même si un drone ou véhicule-robot pourraient faire déjà mieux que nous, marins ou aviateurs humains. Mais elle nous dit aussi quelque chose que la robotique ne pourra jamais accomplir : créer une histoire où il faut à la fois décrire un monde existant et inventer celui où nous voudrions aller, de telle façon qu’il y ait toujours un écart entre les deux, juste pour pouvoir en parler : un « potentiel métaphorique ».
Une intelligence artificielle appelée à nous remplacer sur ce point (qui est celui du « rester humains » par la navigation valant ici pour la parole éternellement continuée) devrait choisir entre deux stratégies : se lancer au hasard dans n’importe quelle direction estimée viable, ou « computer » des énormes ensembles d’algorithmes représentant autant de raisons d’aller dans une direction et une destination toujours repoussée.
Imaginons qu’elle choisisse la seconde solution, n’oublions pas qu’elle devra obéir à la maxime : « le but principal est de rester humains, c’est-à-dire de continuer à nous parler en tant que sujets souverains ».
Il faudrait alors qu’elle devienne humaine en tant que sujet à (et de) la parole, c’est-à-dire capable de se contraindre à la fiction de reconnaître la liberté souveraine de tout parleur, y compris de soi-même. Nous lui souhaitons bonne chance et bienvenue au club Asimov ! (2)
Quoi qu’il en soit, pour les gens qui parlent vraiment, il y a un monde et ce monde se divise toujours en deux : celui qui est, et celui qui devrait être. Et pratiquement toutes nos paroles ne disent que cela, et ne s’échangent qu’autour de cela. Ce qui signifie que, contrairement à ce suppose le philosophe John Searle, nous ne parlons jamais vraiment du monde comme réel en soi, « objectif », mais d’une opposition entre ce qui nous arrangerait comme humains idéaux et la condition que nous déplorons comme la nôtre aujourd’hui.
C’est cette opposition qui nous intéresse comme telle (au sens propre du terme : fait lien entre nous) et constitue notre monde symbolique. Du coup surgissent deux autres mondes : celui -imaginaire- du rêve paradisiaque à construire (au nom d’un idéal fusionnel originel), et celui -réel- qui, malheureusement, fait toujours retour à la même place (comme disait Lacan).
Cette division du monde en trois mondes en opposition (dont l’un fait tiers-exclu liant les deux autres) n’est que celle de la conversation humaine, mais c’est aussi celle qui est lue comme étant la vérité de son objet. De sorte qu’il y a coïncidence entre la pluralité des sujets qui parlent et celle des mondes. Nous croyons parler des mondes, mais nous ne parlons que de nous-mêmes en tant que sujets qui se parlent.
Il n’est dès lors pas étonnant que les sujets prennent position dans la querelle éternelle (3) en faveur d’une variante du monde idéal à réaliser et en jugement souvent critique d’une version monde tenu pour réel.
Ils jugent aussi personnellement de la façon dont la querelle est conduite. Ainsi, sur chacun des trois mondes créés par la parole humaine, une variété infinie de positionnements sont possibles, de même qu’une énergie puissante agit en direction de leur unification et de leur simplification. Tout concourt à ces dernières, mais au détriment de la condition impérative de la liberté subjective. Et si, par mégarde, nous parvenons au point où toute controverse, toute mésentente, toute différence positionnelle sont abolies, alors nous cessons de parler et nos mondes disparaissent aussi, parce qu’ils ne sont pour nous que des supports de notre fiction vitale en tant qu’humains.
L’idée même d’un anthropocène unique est une approche trop rapide de la fin de la conversation s’appuyant sur trois mondes, chacun riche de subdivisions problématiques. Il serait plus prudent d’admettre que, si tous nos mondes sont occupés et défendus par des sujets humains, ceux-ci ne constituent pas entre eux un discours commun et unique. Certes, comme l’a soutenu à son tour Niklas Luhmann (kantien en diable) dans un travail sur l’environnement, nous n’avons pas accès au monde naturel « en soi », mais seulement à ce qui fait sens pour nous dans nos échanges symboliques. Mais justement : si nous voulons néanmoins ne pas tuer la vie sous nos symbolismes, il importe que ceux-ci préservent au moins une diversité de points de vue qui, fût-ce en partie, soutiennent la diversité « réelle » du monde de Gaïa. Le mieux serait peut-être dès lors que les sujets humains pratiquent davantage leur souveraineté, de telle sorte que leurs positionnements spontanés recouvrent le droit des vivants à vivre leurs différences à la surface de la planète. Car ce vécu serait protecteur des différences naturelles qui les représentent.
Il va de soi qu’une rencontre au sommet des positionnements humains est inévitable, mais son caractère change du tout au tout s’il s’agit seulement d’un lieu de reconnaissance mutuelle ou d’une instance dominatrice globale.
Le choix de la « reconnaissance mutuelle » sous-entend d’abord que les positionnements cohérents entrant en discussion au sommet ne reflètent pas eux-mêmes simplement des totalités d’échelle inférieure, comme aujourd’hui les nations. Celles-ci endossent de plus en plus souvent des positionnements, mais ceux-ci sont finalement rabattus sur « l’intérêt national », lui-même totalité en miniature, préfigurant de manière holographique la grande totalité mondiale.
Or les positionalités saisies par les sujets doivent, pour être fructueuses dans notre optique, assumer le paradoxe anthropologique fondamental entre la souveraineté subjective et la fonction collective. Elles doivent être l’une et l’autre à la fois (plutôt que ni l’une ni l’autre), ce qui est loin d’être évident et nous ramène à la métaphore de la navigation « par bords ».
Par exemple, si la fonction « protection de la forêt comme puits de carbone et conservatoire de la diversité biologique » peut rencontrer une positionalité subjective « vouloir être un pygmée », on a là une sorte de miracle symbolique. Envisagé comme tel, on peut alors se demander pourquoi seules les ethnies accoutumées à la forêt depuis des centaines ou des milliers d’années seraient reconnues dans le désir d’y vivre et de la protéger ? Pourquoi le bon Français banlieusard n’aurait-il pas droit, lui aussi à devenir s’il lui plaît -non pas un professionnel forestier en proie à la dépression chronique- mais un habitant de la sylve ?
Serait-il alors réduit à une fonction régalienne -celle d’entretenir les futaies et de protéger le brame- ? Pas dans une perspective nouvelle ici travaillée : ce serait eux, en tant que souverains sujets de leur propre passion qui feraient loi en la matière. Bien entendu, il relèverait du droit d’autres subjectivités de reconnaître, de rencontre en rencontre, s’ils ne subissent pas la tentation de devenir commerçants de leurs essences de bois, de leurs champignons rares ou de la peau de leurs animaux. A savoir : qu’ils demeurent bien dans le positionnement où ils s’avancent eux-mêmes, ceci se démontrant d’avance par des processus initiatiques très propres à déceler les fausses vocations !

Cet exemple est certes un peu forcé, et encore bien utopique, même s’il semble aller au devant d’un retour à la nature plus touristique que réel, et ressemblant à l’amour du bucolique chez Marie-Antoinette, cette ancêtre du genre Bobo-parisien.
Il y a sans doute un long travail de réflexion et d’expériences diverses avant de parvenir au stade où cette pluralisation spontanément protectrice deviendra possible sans graves distorsions. Mais l’essentiel n’est pas là : il réside pour le moment dans un constat bien étayé du fait qu’il n’y a pas contradiction, bien au contraire, entre la défense de la subjectivité humaine comme consubstantielle de la parole échangée souverainement entre locuteurs, et la survie d’un monde que nous ne pouvons reconnaître que dans sa pluralité.

C’est à cette découverte (ou plutôt à sa mise à jour après les intuitions arendtiennes) que souhaite contribuer le présent travail.
Nous prions ici le plus déterminé des cognitivistes transhumanistes de ne pas hausser les épaules et de considérer soigneusement l’argument.
Pour la raison suivante :
-ou bien la pulsion d’organicité totale continue d’habiter l’intelligence artificielle qui nous succédera aux commandes, et dans ce cas nous assisterons au mieux à la production d’un organisme mondial hybride entre Gaïa et la machine (thème du film-culte Matrix), et au pire à un suicide de Gaïa et de la Machine.
-Ou bien de la subjectivité persiste et nous obtenons seulement un report de la même échéance, puisqu’en désirant plus que tout la totalité organique, cette subjectivité est destinée à se supprimer elle-même.
Double suicide, donc, dans tous les cas.
On dira que cette « découverte » n’est pas vraiment le comble de l’optimisme ! Eh bien si : à condition d’admettre qu’il existe une très étroite issue au problème, celle de la supposition que la subjectivité peut changer d’objet, et transformer son tropisme collectivisateur en volonté d’accord pluraliste, en imitant Gaïa, celle-ci étant déjà l’imitation de notre propre pluralité et de sa traduction en au moins trois de nos mondes intérieurs en discussion.

Cet espoir n’aurait aucun intérêt ni aucune chance de réalisation si nous ne tenions pas compte de la structure paradoxale de la subjectivité, véritable nœud gordien qu’il ne s’agit en aucun cas de trancher, puisque cela équivaudrait à la mise en marche des processus suicidaires établis ci-dessus.
Toute l’efficacité du propos ne tiendra qu’à la capacité de dénouer ici un écheveau de complexités.
Nous invitons le lecteur à participer à l’aventure, qui comporte évidemment nombre de détours et de méandres, comme tout bon nœud à dénouer qui se respecte. Mais cela en vaut la peine (voire l’échauffement cérébral), car si nous pouvons acquérir la conviction raisonnable et réaliste que la subjectivité humaine peut être légèrement détournée de sa passion la plus essentielle -l’articulation de Chacun dans le Tous- en considérant la souveraineté libre qu’elle a à y perdre, alors nous aurons dégagé une véritable chance de ne pas détruire Gaïa, fut-ce au prix de réduire ou de limiter l’emprise de l’anthropocène.

Denis Duclos
Seigny, Porchefontaine, le 12 Octobre 2016


2. Ma liberté comme indétermination d’autrui

Il existe une belle phrase -une peu énigmatique sans doute- de Jacques Derrida dans Marge de la philosophie : « je voudrais démontrer pourquoi un contexte n’est jamais absolument déterminable ou plutôt en quoi sa détermination n’est jamais assurée ou saturée » (4) .
L’abstraction ne doit pas tromper : l’indétermination des contextes sociaux de la parole dont il s’agit, c’est tout simplement la condition de la liberté de chacun. Et c’est une question décisive en une époque caractérisée par la volonté d’une précision croissante à propos des actes, des fonctions et des personnes. Précision qui menace probablement notre civilisation-monde en la ramenant à une immense mécanique.

L’intention déclarée du philosophe parisien n’était pas anodine, puisque, se situant dans une critique des « contextes conventionnels » proposés par John Langshaw Austin comme inséparables des actes de parole « performatifs », elle rencontra très vite la réaction indignée de l’héritier présomptif d’Austin, John R. Searle, laquelle réaction suscita à son tour une réponse de Derrida, marquée par la moquerie et la dérision (nommant son adversaire « SARL » (5) , et mettant son sérieux en doute au nom du sérieux).

Nous partirons ici de cette dispute, célèbre en son temps dans un petit cercle, et néanmoins aussi tellurique que peut l’être une secousse sismique imperceptible, mais annonciatrice d’un tsunami.
Voici d’emblée la position que nous allons prendre en rapport avec cette polémique qui recouvre, selon nous, un thème crucial pour l’humanité planétaire :
Lorsque nous parlons, nous nous engageons mutuellement avec nos interlocuteurs dans un acte de reconnaissance de notre liberté de parole et donc, du même coup, dans la reconnaissance de la liberté de… nous asservir à une règle collective (celle d’une langue, par exemple, ou celle des « Human Rights », celle d’un contexte social large ou restreint, officiel ou critique, etc.)
Cette liberté ne peut être qu’absolue, parce que la fiction du sujet de la parole est une condition sine qua non pour valider notre appartenance sociale comme « auteurs » -sujets souverains de nos actes- et non comme parties d’un tout qui leur serait supérieur, transcendant. En ce sens, le Sociétal doit reconnaître la source libre de tout acte de parole, sans quoi il s’oriente vers son propre suicide à terme.
Toute la question est de savoir ce qui garantit cette liberté. Or la réponse donnée à ce problème justement soulevé par Derrida… ne nous convainc pas entièrement. Elle consistait en effet à dissoudre la détermination du sujet dans le mouvement même des contextes conventionnels qui désignent sa place, et ne seraient pas « exhaustivement déterminables » selon la formule derridienne. Comme s’il suffisait d’observer qu’une même parole pouvait avoir des sens différents dans des contextes différents, voire une diversité de sens possibles dans un même contexte (ce qui est vrai), pour libérer le sujet humain de sa dépendance en étant ainsi dispensé d’une existence absolue par l’ambiguïté et la porosité desdits « contextes ».
Or cette possibilité d’inexistence, si l’on peut dire, ne libère qu’en un sens très pauvre, et finalement formalisable -si l’on suit Erving Goffman-. Et cela apparaîtrait dès que nous considérerions le Sociétal comme « l’ensemble des contextes » de prise de parole : ledit sujet serait alors réduit à une case « vide », telle qu’on peut la théoriser par analogie avec le jeu du Taquin ou l’invention du signifiant zéro. Il ne s’agirait pas d’une vraie liberté, mais d’une convention exhaustive concernant la valeur nulle, « void » de cette place, laquelle est nécessaire à l’existence et la consolidation du système (6).
Or la parole ne correspond pas à cette logique : la liberté « absolue » qui est accordée à son sujet n’est jamais qu’une concession, un compromis toléré à l’endroit de l’individu, seul « vrai » producteur de paroles, et pas d’une « fonction », laquelle transformerait le sujet en robot.
Ce n’est donc pas la « présence » ni la « transparence à soi-même et à l’autre » qui -imputées à la théorie austinienne des actes de parole par Derrida- font complètement obstacle à la liberté requise, ce paradoxe littéralement constitutif du sujet humain. Et leurs envers - absence et itérabilité- ne forment pas non plus la garantie de « non-déterminabilité » qui demeure le plus sûr critère de cette liberté.

Nous reviendrons sur ces aspects décisifs, mais posons dès maintenant les arguments de notre écart à la solution derridienne :
1) présence et transparence à soi-même et à autrui du sujet de l’acte de parole ne sont pas des obstacles, mais au contraire des conditions indispensables de sa liberté, parce qu’elles sont des fictions « déontiques » qui instituent le sujet comme n’acceptant aucune autre détermination que celle d’une autoréférence, et donc d’un paradoxe douloureux mais irrécupérable par quelque collectif que ce soit. C’est la présence du sujet à lui-même qui décide, en fin de compte, quel est le sens « véridique » d’un performatif comme « je t’épouse », et absolument pas le contexte social censé en témoigner ou le ratifier (7) . Si les sujets ne pouvaient pas décider du « sérieux » de leur acte et ceci contre le contexte, des pièces de théâtre comme Beaucoup de bruit pour rien ou Roméo et Juliette n’auraient aujourd’hui aucun sens. Pour ne pas parler des grandes tragédies grecques, certes fondées sur la résistance de certaines lois à d’autres, mais passant par une personnalité qui en juge.
Ceci n’est valide, néanmoins, que si ledit sujet n’est jamais seulement conçu pour soi et autrui au travers de catégories reçues concernant la présence et la transparence. Autrement dit, ce qui est présent et transparent, ce n’est pas la catégorie conventionnelle de sujet, mais justement ce qui est d’avance posé comme indéterminable même par et pour soi-même. Le sujet « performatif » n’est pas absent, mais il s’avance d’emblée comme posant, dans son adhésion même à un rôle, une place, un statut prescrit, sa liberté absolue de « ne pas le faire », cette liberté le faisant le-même consister seulement comme indéterminé (8).
C’est en montrant cette liberté par le fait même de parler de sa propre assignation dans le dire de cette parole (être celui qui a dit « je promets », par exemple), que l’énonciateur propose aussi cette liberté à l’interlocuteur.

2) absence à soi et itérabilité (possibilité de répétition de l’acte dans des contextes différents, lui donnant donc une valeur différente) ne constituent pas en elles-mêmes des garanties d’une liberté par rapport aux conventions déterminant la validité et le « sérieux » des actes de parole. Au contraire, le fait que « n’importe qui » puisse être mis à la place d’un sujet de la parole prescrite dans des circonstances normées (et déterminant leur caractère « heureux » ou « malheureux ») vide pour ainsi dire ledit sujet de sa singularité. A la limite, il n’y existe plus, au contraire, que comme le personnage social censé animer le rôle, dont il est alors totalement prisonnier. Or nous ne sommes pas seulement des personnages mais aussi des sujets réciproquement reconnus de l’énonciation.
Certes, Derrida recherche par l’absence relative de l’énonciateur sous son énonciation, et la dérive de la répétabilité d’une énonciation en contextes différents une liberté par rapport au contexte, lequel ne peut dès lors jamais parvenir à saisir complètement le sujet d’une intention de parler. Et cette position est importante : un sujet enfermé dans un contexte totalement déterminé est évidemment un sujet en souffrance (9) , et tout détenu peut rêver qu’il peut s’évader du camp, même si seulement certains le réaliseront.
Mais le philosophe lui-même ne parvient pas à réduire le sujet à une non-présence qui le localiserait, par défaut, comme celui qui « est parlé » seulement par le contexte, puisque son intervention propre est alors considérée… absente (10) .
D’ailleurs, c’est précisément parce que les contextes sociétaux peuvent être verrouillés et « complètement déterminants » (au pire comme celui du camp de concentration), qu’il est nécessaire de penser le sujet comme quelqu’un qui prend appui sur la détermination, ne serait-ce que pour s’en libérer !
Une solution partielle à ce dilemme consisterait peut-être non pas à substantiver l’absence hors contexte normatif comme un fait passif, mais à considérer que le sujet d’une parole « s’en absente » de façon active et actuelle : il s’en échappe et il en réchappe du même coup (11) .
Or cette « échappée » est présente dans l’acte de parole lui-même, envisagé sous son aspect de « libre engagement » dans l’illocution (ou plus largement la « performation » (12)). Au fond, nous disons toujours au moins deux choses en même temps dès avant d’ouvrir la bouche pour parler à autrui (voire à l’autrui en nous-même) : « j’obéis à la norme » et : « il n’y a qu’un être libre qui peut obéir ». Ceci comme condition soutenant le « dire » énoncé au cours de la « locution » elle-même, et qui devra la confirmer en lui-même.
La question se trouve alors soulevée de savoir si un esclave peut énoncer -de façon valide en tant que parole- la phrase : « j’obéis » en mode performatif, voire même constatif.
Une seule solution est recevable dans ce cas -qui est loin d’être seulement un cas d’école, étant entendu l’extensibilité sémantique de la notion d’esclavage : c’est celle selon laquelle même l’esclave -contraint à l’obéissance statutaire- ne peut constater cette dernière que d’un point de vue d’homme libre subsistant en lui ! Sinon, il n’a pratiquement jamais l’occasion de penser ou de dire « j’obéis » tout en le faisant dans une situation chronique qui est si évidente qu’elle n’appelle plus aucune « pensée de soi », sinon par entretien d’une conviction « d’être un autre » (13) .
Ne revenons pas ici sur la position peu explicite de Searle en réponse à Derrida (mais aussi en refus de dialogue direct avec lui). Qu’il nous suffise de rappeler que la position d’Austin, qui est celle, hésitante, d’une recherche d’ouverture, ne peut absolument pas se résumer à la désignation des codes dont le respect « autoriserait » l’acte performatif. D’ailleurs, les conférences ultérieures tâtonnent encore en découpant la notion de performatif pour lui substituer un déploiement entre locutoires, illocutoires et perlocutoires (14) , ce qui peut aussi être perçu comme une tentative de préciser ce qui serait « vraiment » performatif.
Or il est important de rappeler que les quelques pages, très prudentes et ouvertes, où Austin se lance dans ce « rangement » donne lieu à une note de 1958 dans laquelle l’auteur juge décidément « peu clair » l’ensemble de son effort, et l’accompagne de la question suivante : « les énonciations ne sont-elles pas toutes performatives ? ».
On observe alors une démarcation entre Searle, l’élève studieux et résolument « universitaire » et le maître, Austin, mort jeune, et en pleine phase de quête sans préjugé et sans défense butée de ses propres avancées.
Searle en effet, croit que certains actes de parole veulent décrire le monde « en vérité », ou bien le saisir dans leur engagement (15) et tente de les classer selon ces critères métaphysiques, qui sont précisément ce que tentait d’éviter Austin (16) . De sorte que la catégorisation que Searle applique aux « illocutoires » (l’assertion, la directivité, la promesse, l’expression, la déclaration) paraphrase platement l’intention affichée des énonciateurs en évacuant le fait qu’ils sont tous des engagements performatifs parmi d’autres, c’est-à-dire des signes de l’arbitraire du sujet parlant.
Or ce sur quoi Austin mettait le doigt, sans savoir très bien où il allait être entraîné, c’est au contraire le fait que tous les actes de parole (et non de langage, contresens absolu) ne s’intéressent qu’à l’influence visée entre Humains et qu’en même temps tous ces actes ne peuvent effectuer leur propos -intéresser nos semblables- qu’en évoquant un monde important pour eux, ou plutôt trois, voire quatre mondes imaginaires impliqués : un réel supposé existant et un idéal à promouvoir, le tout « parlé » par le monde du symbolisme, celui de la façon de comparer les deux précédents. Et enfin, ce qui permet tout cela : l’engagement réciproque à ne pas nous prédéterminer entre locuteurs. La fiction même de l’acte de parole.
Autrement dit, il n’y a pas des actes qui désignent le monde et d’autres qui s’intéressent à autrui, parce que tous sont également constitués :
-du pacte entre nous, les interlocuteurs, et concernant notre propre considération mutuelle comme « libres sujets » de l’échange de paroles.
-de l’accord implicite entre nous, les interlocuteurs, concernant notre outillage de symbolisation du monde.
-de la dualité des mondes supposés décrit et prescrit, cette dualité étant prise en charge par les sujets dans toute paire proposition-réponse, élément de base d’une conversation (ce qu’on nomme une métaphore).

Ce qu’Austin notait par ses deux remarques liées en note de bas de page ne pouvait que signifier ceci : nous nous engageons de façon identique dans tous nos actes de parole, le choix d’un « genre » illocutoire n’étant qu’un détail stratégique, rhétorique.
Par exemple, si nous posons une question plutôt qu’une assertion, une promesse ou une déclaration, il n’y a strictement rien de différent entre elles quant au fait de notre engagement. Ce qui change est seulement la stratégie « diplomatique » dont nous usons préférentiellement pour entrer en conversation avec notre vis-à-vis. Une question est moins « dangereuse » qu’une assertion, et certes moins encore qu’une déclaration (aussi bien de guerre, d’impôt, que d’amour : vous prenez le risque de ne pas pouvoir reculer et d’être ouvertement combattu dans votre prétention). Une promesse est aussi aléatoire (comme tous les actes de parole), mais elle ouvre un temps devant elle. Etc.
Nous pouvons refuser aussi bien de promettre que de « donner » l’heure ! Mais nous pouvons aussi donner l’heure en tant qu’insulte ou ironie, ou de nombreuses autres significations ! (17)
Pa ailleurs, reconnaître une « intention » derrière une énonciation, c’est courir le risque de figer celle-ci, mais aussi d’étiqueter l’énonciateur de telle sorte que la conversation qui suivra entrera dans un « tunnel ». Nous pouvons, certes, nous contraindre à cette destinée ou plutôt juger que nous y sommes contraints, mais la liberté du sujet conversationnel réside précisément dans la capacité de suspendre ce jugement en tant qu’adhésion à tout un corpus de significations en cascade. Le plus souvent, pour que la rencontre se poursuive, nous sommes au contraire obligés de maintenir plusieurs jugements en suspens afin de pouvoir continuer à écouter notre interlocuteur.
Ces suspensions de jugement sont des performatifs silencieux : elles ont réellement pour effet de ne pas percevoir l’interlocuteur selon le codage du jugement une fois « libéré ». Et pourtant, elles ne rendent pas cette perception impossible, puisqu’on peut toujours la « déclencher », en tenant compte de ses implications.
Par exemple : si j’entends mon interlocuteur égrener plusieurs indices d’un discours raciste ou xénophobe, je peux, y étant opposé, décider un moment de lui « laisser le bénéfice du doute », tout en me préparant éventuellement à rompre la discussion par une critique en règle du personnage ainsi joué.
Inversement, si l’interlocuteur en question s’affiche de plus en plus comme militant populiste, il peut néanmoins, sentant mes réticences, continuer à tenter de me persuader en ciblant des catégories d’opposants ou d’ennemis qui lui semblent suffisamment éloignés de moi pour que je ne m’offusque pas encore ! Etc.
Je fais donc jouer ma capacité souveraine à maintenir l’indétermination à la fois du côté de mon vis-à-vis comme du côté de ma propre implication. Dans un tel cas, il va de soi que je joue aussi avec l’image que je me fais de moi-même et avec la valeur des notions de « courage » ou de « compromission » qui peuvent commencer à entrer en résonnance avec le débat. Dans le cas où celui-ci est public, je dois tenir compte du fait que d’autres participants peuvent trouver ma position hésitante, voire faible, pour ne pas dire « influencée », etc. Mais, même dans le cas d’une pression forte de l’entourage, je reste seul maître du choix du registre du dialogue, lequel change à partir des « aiguillages » que représentent les déterminations.
On voit donc très clairement, ici, que le « rapport au monde extérieur » n’est qu’un moyen de conforter l’entente ou au contraire de la saper. C’est ce caractère purement intersubjectif de l’invention du fait parolier qui est refusé avec acharnement par les totalitaires cognitivistes dont Searle fait malheureusement ici le jeu, même sans le « déclarer » explicitement. Et, pour être cohérents avec notre théorie, avançons ceci : ce qui compte pour Searle également, ce n’est pas la « vérité » du monde extérieur, mais l’amour d’une idéologie du « réel » qui permet, par sa précision, son antisymétrie et son univocité toujours croissantes, d’imposer une nouvelle religion à l’humanité entière : celle de la technoscience, liée à l’énorme puissance économique et sociale des producteurs de biens technologisés. Ce en quoi nous pensons que Searle est lui-même un intellectuel mystifié en dépit de son rationalisme.

Pourquoi avons-nous développé en préambule cette discussion évidemment mal engagée, littéralement truffée d’incompréhensions réciproques ?
Parce qu’elle représente l’un de ces phénomènes rares dans l’histoire de la vie intellectuelle, qui relève justement d’une « ouverture », alors qu’une majorité d’intellectuels se consacrent, à partir de l’angoisse qu’elle déchaîne, à la fermeture et au verrouillage de la faille aussitôt décelée (18).
.
C’est ce processus répété qui explique pourquoi, alors que nous savons parler depuis peut-être soixante dix mille ans, et cela déjà comme bébés de deux ans, nous ne parvenons pas à faire valoir sur le long terme une compréhension de ce que nous faisons. La raison en est claire et simple : les intérêts du collectif vont toujours en sens inverse de la reconnaissance d’une liberté mutuelle absolue, vérité de la parole qui induit toujours une angoisse sociale intolérable.
Pourquoi alors, dira-t-on, existe-t-il néanmoins toujours aussi des personnes pour tenter de rouvrir ces domaines verrouillés par l’angoisse sociétale et par ses agents ? La raison en est, cette fois, un peu plus complexe, bien qu’aussi évidente au fond : parce que si, par malheur, un collectif parvenait effectivement à détruire tote liberté dans l’acte de parole, cet acte d’adhésion volontaire au principe de réciprocité disparaîtrait et avec lui, la société elle-même.
Comme le rappelle encore Lacan : « sans la parole, il n’y aurait rien ». Mais les cognitivistes qui nous fabriquent un avenir de robots et de cyborgs ne lisent pas Lacan, ce qui rend, paradoxalement utile l’émergence de philosophes naïfs, de philosophes-grains-de-sable comme Austin.
Dans la discussion évoquée ci-dessus, Austin conserve en effet le beau rôle -génial ?- d’un découvreur, doté de ses attributs : il n’a jamais écrit aucun livre et ses conférences sont balbutiantes autant que semées de political incorrectness.
Certes, il écarte un peu brutalement du domaine de la « vraie » parole énoncée en conversation « réelle » ce qu’il nomme les « parasites », ou les « étiolements de la parole » en donnant comme exemples le discours de l’acteur de théâtre ou l’écriture, ce qui choque alors Derrida. Mais celui-ci a beau se réfugier dans l’ironie, il ne comprend visiblement pas de quoi il s’agit pour Austin : de reconnaître le trait radicalement éthique de l’échange de paroles entre deux personnes, alors que théâtre, poésie ou écriture n’en sont que des dérivations.
Et ici, il faut être pour Austin et contre Derrida : oui, la parole verbale, orale, directe en tant que telle possède un caractère unique, même si elle en concède une sorte de délégation aux jeux de parole « hors situation », hors « contexte ». Derrida a tort de récuser l’idée d’un contexte où la présence d’un pur sujet souverain -bien sûr imaginaire !- de la parole est requise : ce qu’Austin appelle le « sérieux » de l’engagement parolier, même s’il est exagéré par Searle, n’en est pas moins quelque chose d’indispensable à la liberté humaine comme contrepartie de nos inscriptions dans le Sociétal. Car ce « sérieux » n’est absolument rien d’autre que notre engagement gratuit vis-à-vis de nos alter ego, à commencer par nos amants et nos enfants (19) .
Or cet engagement est plus « sérieux » que la lecture la plus émouvante d’un poème (tout de même adressé à un « public » général). Je peux lire un poème émouvant dédié à une Aimée (par exemple celui qui évoque la mort de la fille de Victor Hugo, et qui vaut effectivement des milliers d’autre pages du même auteur, parce qu’il se rapproche d’une « vraie » parole), il est néanmoins peu de choses en comparaison du sentiment poignant éprouvé sur le coup et partagé « de vive voix » avec ses proches.
Ce qui ne veut pas dire qu’Austin soit en l’affaire exempt de défauts, ni surtout qu’en y sombrant au nom du recueil de son héritage John Searle ne se soit pas franchement mal conduit en ignorant l’argument de Derrida. Car Searle semble bel et bien entendre par acte « sérieux » (en y opposant « parasitaire ») comme ce qui s’énonce dans la norme sociétale, ce qui a peu à voir avec le concept austinien de « sérieux ». Ce dernier, en effet, ne désigne strictement que ce qui valide la parole entre interlocuteurs, et qui peut fort bien être un registre de plaisanteries purement privées (20) . A condition que, dans ce registre, les interlocuteurs s’engagent, s’avancent réciproquement « en personnes » (ce qui n’est pas le cas de l’acteur, sauf en tant qu’interprète redevable devant un public de la justesse de son interprétation, ni du poète, sauf lorsqu’il adresse « vraiment » son poème à une personne aimée ou haïe).
En contribuant à réifier la notion de contexte déterminant la parole, Searle joue ici le rôle ingrat de l’huître qui fabrique de la perle autour de l’organisme intrus… en excluant par contraste « l’acte parasitique ». Ce qui n’est pas étonnant, puisque toute son énergie est consacrée à retirer toute nocivité à Austin… le vrai parasite en l’affaire !

On commencera, j’espère, à entrevoir l’enjeu de notre livre. Avouons qu’il n’est pas éloigné dans sa question centrale de l’effort de Jürgen Habermas pour appuyer sa quête d’une « amélioration de la démocratie » sur le travail d’Austin (et sans passer par les gardiens du temple comme Searle, ou toutes sortes d’autres austinophages, comme Dan Sperber ou pires.)
Car Habermas a honnêtement cherché comment l’on pouvait ramener le contenu des paroles effectives (par exemple en cours dans les délibérations politiques) aux maximes implicites de vérité, de sincérité et de justesse que contiennent en effet les performatifs à propos de « ce qu’ils font ».
L’échec patent de cette approche est dû, semble-t-il, à une illusion prégnante : celle consistant à croire que l’on peut appliquer à un collectif la prise en charge d’une sagesse de fait, n’existant que dans l’intersubjectivité actuelle et directe.
Je ne partage pas cette illusion tentante, surtout quand on a en perspective la volonté de sortir des « langues de bois » socialistes ou libérales, toutes aussi totalisantes les unes que les autres. Mais il reste vrai que nous devons trouver une solution qui permette de ramener à la pratique de la parole, la dérive culturelle ordinaire vers les conceptions ensemblistes détruisant peu à peu -ou rapidement- la liberté. Pratique de la parole assez miraculeuse. faut-il souligner sans l’idéaliser pour autant.
C’est à ce rapprochement (qui évoque le mot « parabole », rapprochement, et origine du mot « parole ») que cet ouvrage tente de travailler.

Pour cela, et pour éviter au moins les apories déjà rencontrées par nos brillants prédécesseurs, que je souhaite l’orienter autour de trois notions essentielles : la rencontre, l’amour et l’accord.
Pourquoi ? Parce qu’ils représentent chacun un bord d’un champ de possibilités où la parole peut être un « accomplissement suffisamment heureux » : la rencontre comme ouverture à l’indéterminé, et comme éternel retour de la condition humaine; l’amour, fondé en nature mais déployé en culture, représentant une strate de vie sociale impliquant la fiction du plus extrême altruisme, et l’accord, essentiellement culturel, permettant à une strate où l’amour faiblit jusqu’à disparaître, de continuer à produire un échange équitable entre locuteurs qui ne sont plus des « proches », mais qui restent suffisamment indéterminables réciproquement, pour qu’une nécessaire confiance s’établisse.
Ce qui est intéressant, suggestif et prometteur -à condition de ne pas s’égarer en cours de métaphore-, c’est que les trois ont affaire avec le postulat d’indéterminabilité réciproque des sujets, celui-là même qui se dégage des actes performatifs pré-paroliers ou paroliers. Il y a d’ailleurs dans le « bonjour », « je t’aime », comme dans le « nous sommes d’accord », quelque chose qui relève d’une décision d’engagement « dans le constatif », tel que celui-ci ne repose… que sur la confiance accordée, la fiction mutuellement assurée.
Il s’agira d’observer avec précaution comment user de ces découvertes dans le domaine de la discussion, de la politique, où de ce qui les remplacerait comme idée et place du collectif.




notes

1. L’heure semble être enfin à une remise à l’honneur du pluralisme médiéval jusqu’ici coincé entre deux impérialismes-esclavagismes considérés comme summums de l’humanité -le romain et le moderne-. Bravo France-Culture ! Il faudrait cependant prendre garde à deux défauts typiques de la meute académique ayant aperçu une proie : -1. oublier les audacieux qui ont ouvert le questionnement déchirant le voile idéologique ambiant -il est tout de même fort de café qu’on ne cite pas Régine Pernoud et son magnifique En finir avec le Moyen âge qui remonte à 1977. 2. Croire qu’on va enfin en finir avec l’idéologie parce qu’on accompagne un renversement de perspective à la mode, sous le prétexte -renouvelé- que la science archéologique des « faits » n’est pas perméable à l’air du temps. Comme s’il existait une unique interprétation valide des « faits », comme si l’on pouvait épuiser la richesse et le complexité de ces derniers dans une vérité définitive enfin atteinte.
2. Dans une série de romans de science-fiction, Isaac Asimov a été le premier à saisir qu’un robot ne pourrait être reconnu comme humain (au-delà du test de vraisemblance établi par Türing) qu’en obéissant à une loi éthique. Asimov a ainsi avancé en direction d’une conclusion (qu’il n’atteint pas complètement) : ledit robot devra se prendre lui-même pour un sujet souverain reconnaissant la subjectivité chez ses interlocuteurs, et agissant en conséquence. Notre pari est que nous sommes encore à des éons de cette possibilité qui dépend en large partie du sentiment partagé par les « autres » Humains. Notamment du fait de l’ignorance crasse de la quasi-totalité des cognitivistes quant au mécanisme de la symbolisation et de la fiction subjectale.
3. Querelle voulait surtout dire autrefois : « discussion ».
4. Marge de la philosophie, Minuit, coll. Critique, Paris, 1972, p. 369
5. Société à Responsabilité Limitée, en Français.
6. Un peu comme, concernant les objets, le droit romain détermine l’objet entant que « bien » comme opposé à la catégorie de son propriétaire, en rendant impossible le concept même de « res nullius » (chose de nulle personne), pour autant, par exemple qu’un animal sauvage n’appartient à personne (mais n’est pas, du même coup, une chose, une « res »). Une res nullius (ou derelicta, abandonnée) n’est citée comme telle que parce qu’elle peut être appropriée par le premier à s’en emparer. Elle appelle la propriété en tant que chose, comme si tout ce qui existe relevait finalement d’une place dans le système des affaires humaines. Ce qui est hautement problématique, notamment quand nous en venons à parler de « patrimoine commun de l’humanité », comme si la Terre n’était à protéger que parce qu’elle nous appartenait.
7. Il fut des siècles « médiévaux » pendant lesquels le mariage n’existait pas, proprio motu, avant que l’Eglise ne l‘imposât.
8. L’avantage de la religion sur la science, c’est qu’elle préserve un lieu pour cette indétermination : la transcendance divine, dont on ne peut qu’interprêter la position « impénétrable ». Son gros inconvénient, en revanche, c’est qu’elle occulte avec autant de soin et de violence le fait que cette transcendance n’est que l’appellation religieuse de l’indétermination réciproque décidée entre sujets de la parole humaine. Savants et Religieux s’entendent ainsi à organiser le débat au dessus de la tête des gens. Au dessus de nous.
9. Comme dans la formule de Marx (Grundrisse, Œuvres, II, p 281) : « la société ne consiste pas en individus ; elle exprime la somme des rapports et relations dans lesquels les individus se trouvent… être un esclave ou être un citoyen sont des déterminations sociales ».
10. Un exemple : le recours à la notion de « res publica » dans un même texte latin peut signifier successivement « affaire commune », « affaires d’Etat », « Etat », « carrière politicienne », « bien commun », « république » (historique, entre royauté et empire), « le politique », «la civilité », etc. Le contexte est évidemment indispensable pour les différencier, mais on ne peut interdire à l’auteur d’être en même temps celui qui décide de proposer une réflexion précisément sur ces différences de sens, qu’elle soit implicite ou explicite (dans tel texte de Cicéron, par exemple).
11. La différence entre un « sujet absent » (ou une absence de sujet) et un « sujet qui s’absente » permet de distinguer un inconscient mécanique ou neurologique et la possibilité de refuser la responsabilité excessive et féroce par l’inconscient. Le premier relève d’un ukase structuraliste supprimant carrément le sujet, et le second me semble à la fois freudien et lacanien. Ce n’est pas parce que Lacan, dans son amitié pour Claude Lévi-Strauss, admet le rôle de la structure dans l’inconscient qu’il va jusqu’à supprimer le sujet de celui-ci. C’est aussi dans cette absurdité que tombe Derrida, à ne plus savoir s’en dépêtrer sinon par l’agressivité.
12. Le néologisme « performation » que nous reprenons à partir du « performatif » selon J.L.Austin désigne l’accomplissement d’un acte, ce qui n’est pas réductible à la « performance » au sens d’une mesure comparative des accomplissements.
14. Autrement dit, la « construction sociale » chère à Judith Butler ne peut donner lieu à déconstruction et reconstruction que d’un point de vue « libre », qui est exactement le lieu indéterminable -par engagement réciproque- du sujet.
15. Dans cette tentative de distinction, dire : « il fait beau aujourd’hui » aurait un sens immédiat, constatif dans ce cas (locutoire au sens de coextensif à la proposition apparente), une série possible d’autres sens (relevant par exemple de la volonté de bavarder avec son voisin pour être en paix avec lui, ou d’une amorce de débat sur le changement climatique) : ce qui correspondrait à l’illocutoire. Enfin, l’acte de parole aurait un effet sur l’interlocuteur (qui, par exemple, tourne le dos, parce qu’il ne veut pas faire la paix) : ce qu’on appellerait le perlocutoire.
« Il appartient au but illocutoire de certaines illocutions de rendre les mots (plus exactement leur contenu propositionnel) conformes au monde, tandis que d'autres ont pour but illocutoire de rendre le monde conforme aux mots. »
16. Tout comme Emile Benveniste avait conclu des catégories d’Aristote qu’elles ne disaient rien du monde, mais tout de la conception aristotélicienne du langage, via sa propre langue.
17. Ce fait, et une multitude d’autres du même type, nous est très bien montré par les minutieuses approches de la parole ordinaire (de ses silences et de ses gestuelles) par Erving Goffman -que nous ramenons décidément ici en héros de la note de bas de page !
18. Même Erving Goffman, le plus passionné (et passionnant) des explorateurs de la parole dans la suite du projet austinien, ne réussit, à mon sens, qu’à paraphraser le discours des normes implicites de telle sorte qu’il déploie autour de nous un monde fantômatique mais littéralement carcéral : il se fait ghostbuster, révélateur de notre capacité à nous verrouiller réciproquement dans un raffinement de contrôles mutuels normalement invisibles ! Il se laisse donc, dans son réalisme même, mystifier par une sorte d’animisme paranoïde selon lequel absolument tout autour de nous et en nous fabrique continuellement de l’ordre social. Ce qui n’est que partiellement vrai. Pourtant, cela n’empêche pas les intervenants sur l’article « performatif » de Wikipédia de s’agglutiner comme des mouches autour de la certitude que la parole comme acte est essentiellement une « construction sociale » ou institutionnelle ! (Ce qui est une façon de se nier eux-mêmes qui vaut bien celle des kamikase désespérés).
19. On se souvient de Gary Becker qui tenta justement de saisir la rationalité économique des relations entre adultes et enfants dans la famille. Il est indéniable que cette logique joue un rôle important, parce que les conditions économiques forment un contexte terriblement contraignant pour les Humains en situation de « sociétalité avancée », c’est-à-dire de grand nombre. Mais si un ménage paysan peut avoir tendance à mettre ses enfants au travail le plus dur, une mendiante hors caste à le traîner dans la poussière derrière elle comme une poupée de son, tandis qu’un enfant du milieu diplomatique regardera son émission favorite sur les écrans du Suv familial conduit par un chauffeur, cela ne veut pas dire qu’il n’y pas un point commun entre ces trois genres d’Humains : le fait que pour une grande majorité dans les trois milieux cités, il existe, quoi qu’on pense, des relations d’amour et de respect mutuel inconditionnel inscrites dans et par la parole.
20. Erving Goffman nous embarque, au travers de plusieurs études des rituels de la parole quotidienne en direction d’un autre gouffre : celui de l’extraordinaire capacité des parleurs humains à constituer de toutes pièces et à préserver des cadres conventionnels d’interaction à partir de maximes implicites ténues comme « ne pas se fâcher », ou « ne pas faire perdre la face », etc. Bien que cela ne renvoie à aucun ordre transcendant ou extérieur aux parleurs « en personnes », c’est tout aussi … terrifiant. Car la paraphrase savante de nos pratiques par Goffman, pour étonnamment réaliste qu’elle soit, nous dévoile quelque chose que nous ne voulons pas savoir de nous-mêmes en général (ce qui fait partie du problème) : notre propension à maintenir la rencontre humaine dans d’étroites limites de prévisibilité.
Cela ne contredit pas le principe de liberté subjective, mais l’astreint à un combat très rude de tous les instants pour rendre à la parole sa vivacité et sa souplesse. Nous avons incontestablement tendance, au fil des échanges les plus banals, à ériger entre nous des murailles et des grilles ! Nous tissons de la convention comme l’araignée de la toile ! Le pire, peut-être, dans la lecture incontournable de Goffman, c’est que cette découverte qu’il nous livre d’abord à propos de « l’institution totale » et des « asiles » (références du film de Milos Forman « Vol au dessus d’un nid de coucou ») peut être extensible à n’importe quel groupe ! De fait, si l’institution fermée devient très visible de ce point de vue à partir de l’extérieur, il n’est que trop aisé de croire (avec Goffman…) qu’il suffirait de l’ouvrir sur la société globale pour échapper au phénomène ! C’est ce que nous mettons en doute ici, entre autres travaux.

Mardi 18 Octobre 2016 - 05:12
Mardi 18 Octobre 2016 - 06:09
Denis Duclos
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