Peut-on parler de la pluralité sur une arène du Monde sans être déchiqueté par un fauve ?

 Denis Duclos
Mardi 16 Décembre 2014

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Je n'avais pas lu ces commentaires en leur temps. L'aigreur de certains d'entre eux m'agresse pourtant encore des années après (voir le numéro du courrier international sur "quel genre de troll suis-je ?.") Ce ton ne serait pas de mise face à face à un conférencier. Finalement, c'est une sorte de lâcheté.

Sur le fait d'être "coincé", c'est plutôt le lecteur aigre qui en est victime. Il ne cherche pas à comprendre : bien entendu, le nazisme n'est pas une civilisation; ce serait absurde. Ce fut en effet un régime issu du politique, mais se détruisant comme tel dans la dictature et l'horreur exterminationiste. Mais émergeant et sévissant au sein de la civilisation occidentale (en son coeur historique européen), le nazisme a blessé profondément cette civilisation. Il en a montré la fragilité interne et sa limite paradigmatique. En un sens, il a tenté de la détruire.
La différence entre civilisation et culture (outre le fait que le mot "culture" vient surtout de la pensée allemande), c'est que la culture désigne toute sorte de sociation, toute échelle d'organisation humaine, petite ou grande, parce qu'à toutes ces échelles le Fait Culturel universel se produit : on parle avec autrui et on construit avec lui une expérience collective. La civilisation ne concerne qu'une échelle de ces phénomènes : la plus vaste et la plus durable jusqu'à ce que se forme la société-monde. A noter à ce propos que seules existent "objectivement" (comme concepts) des cultures : car civilisations, communautés, sociétés, peuples, etc.. sont des notions subjectives, portées par les protagonistes eux-mêmes, on bien encore déniées par eux. Que les "savants" finissent par reconnaître une certaine consistance à telle ou telle de ces auto-nominations, n'atténue pas leur caractère "arbitraire".

Cela dit, il existe bien des échelles de phénomènes, et ce n'est pas couper les cheveux en quatre - attaque très sotte- que de les différencier ainsi que les genres de cultures. On ne confondra pas la solidarité familiale ou celle du petit groupe avec celle d'une tribu, d'un village, d'une ethnie, d'un peuple, d'une nation, d'une civilisation, parce que chacun de ces types de rencontres ont leur valeur, leur force, et leur légitimité relativement indépendamment des autres. Si vous faites dépendre la plus faible d'entre elles de la plus forte, vous risquez, à terme d'écraser cette dernière sous son propre poids. C'est ce que fait notamment la société actuelle au travers de la métaphore économique et administrative des "populations". Il faut donc se résoudre, m. le donneur de leçons, à accepter ou tolérer une certaine multidimensionnalité de l'être humain. Si l'Allemagne nazie avait accepté de se reconnaître comme société et pas seulement comme "communauté", elle n'aurait pas eu à subir -et à faire subir- l'expérience effrayante qui fut son destin. Parfois "couper les cheveux en quatre" évite d'avoir à tondre les détenus de l'autre race honnie, avant de les exterminer en masse.
 Denis Duclos
Mardi 16 Décembre 2014

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A propos des "civilisations injustes", il semble exister un penchant à faire équivaloir "civilisation" et "bien"; certes, Claude Lévi Strauss pouvait dire qu'aucune société ne pouvait être absolument mauvaise, mais de là à soutenir que la "civilisation" est obligatoirement plus humaine, juste, etc. que la "barbarie", c'est prendre pour argent comptant une auto-définition angélique. Une civilisation désigne surtout la façon dont le grand collectif limite les actions violentes des petits collectifs ou des individus. Le "processus de civilisation" est, selon Norbert Elias, un processus d'interdiction progressive et irréversible des réactions individuelles spontanées. C'est sûrement un bien pour ceux qui en ont à souffrir directement, mais cela n'entraîne pas du tout que la civilisation ne comporte pas sa propre violence, à terme écrasante pour tous ses membres. Sinon, pourquoi serait-elle "mortelle", selon le mot assez lucide de Paul Valéry ?

Cela dit, je vous accorde que quand Solon, Clisthène, ou les Gracques, militent pour empêcher l'extrême appauvrissement et l'esclavage pour dettes des citoyens, ils agissent dans le sens d'une "civilisation" des maîtres et prolongent d'autant la survie de ces derniers au sein d'une société supportable. On peut sans doute en dire autant des moments où le statut de la femme a progressé. Encore faudrait-il alors bien distinguer le progrès vers plus d'égalité et d'équité entre les sexes et la tendance profonde à pousser l'individu géré en masse vers l'uniformité. Le problème est alors que c'est la même société qui se révèle plus "civilisée" en respectant les femmes, et plus "inhumaine" en s'orientant vers une gestion comptable de tous les vivants humains.

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