L'isolement pornographique de la sexualité "copulatoire" comme chemin vers l'asexualité

 denis duclos
Vendredi 20 Mars 2015

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je te réponds en italique et par blocs d'arguments.... (DD)

Je vais lire le document intégralement, mais je réponds à ton résumé, ci
dessus, avant de le faire. Il est bien difficile de prédire ce qu''il en sera
du rapport entre les sexes, je trouve. Je pense que ce rapport découle d''une
opposition binaire, d''une polarisation entre les mots "homme/femme",
"masculin/féminin". Force est de constater qu''il y a des oppositions...
binaires, et celle-ci est fondamentalement binaire, et incontournable.
Pour parler de binaire à propos de la sexualité, il faut élider le contenu de chaque terme, le réduire à une arithmétique entre entités vides. Comme le raconte quelque part notre maître Lacan, un train arrive en gare et deux enfants assis en vis-à-vis disent l’un : « tiens, on arrive à femmes », et l’autre « mais non, on est à hommes ». Si l’on tient compte du temps de la gestation et de l’allaitement, il n’y a plus de binaire, plutôt une dissymétrie considérable. C’est pourquoi le binaire… est masculin ! La copulation est le monde de l’homme, et c’est d’ailleurs ce que Lacan dit aussi, à propos du caractère phallique du désir. Car,au fond, pourquoi le désir est-il phallique ? Parce que le moment copulatoire qui est désiré est celui de l’acte masculin par excellence, le seul acte masculin dans tout ceci. Le caractère actif ou passif est ici non important. La seule chose qui compte est le moment de pénétration d’un sexe par un autre, ce qui est l’unique possibilité réservée à l’homme (ou au mâle mammifère) dans tout le processus réel. On peut considérer ce privilège quantitativement négatif (puisque la femme, en vis-à-vis dispose d’au moins quatre fonctions : la copulation, renvoyant à son propre stock génétique, la gestation, l’allaitement, voire l’essentiel de l’élevage qui lui succède immédiatement. L’homme peut donc en être jaloux puisque chez les Parlants, tout peut se symboliser. Mais inversement, le fait de n’être sexuel que par la copulation (je ne parlerai pas d’un instinct protecteur et paternel très evanescent) libère l’homme le reste du temps et c’est de cela que la femme préoccupée de fécondation peut être jalouse : soit que ce temps masculin soit occupé par d’autres copulations concurrentes possibles, soit, ce qui est bien pire comme objet de jalousie, qu’il soit tout simplement libéré de la sexualité, alors que la femme est contrainte à la succcession des grossesses, ou au retour des règles. La « phallicité » empruntée comme figure pour désirer par l’homme et la femme copulant n’est en fait que le masque de la liberté d’usage du temps hors sexualité comme privilège exclusif du phallus ! C’est tellement évident que, bien sûr, cela reste parfaitement insu, et surtout soigneusement caché, notamment par l’idéologie réductrice de la « binarité ». En jouissant « comme un homme » (via son clitoris en tant qu’organe extérieur réel), la femme jouit surtout de l’emprunt momentané de la non-sexualité de l’homme ! A noter à ce propos que ce que mon arrière grand oncle maternel -François Mauriac- visait chez Thérèse Desqueyroux, l’empoisonneuse ingénue de sa bête de mari, c’était exactement cela : se débarrasser de la situation matrimoniale pour être libre de tout, y compris du sexe !
La décharge de sperme doit bien être entendue, en tant que climax ou orgasme , comme libération, soulagement, évacuation d’une lourde charge, et donc apparition d’un monde où tout est possible immédiatement : d’où tout l’effort des autorités morales pour ramener l’homme (et la femme tentée d’en être « un ») à ses « devoirs » conjugaux, à sa « responsabilité » (mot qui contient directement la notion de « poids » à porter). C’est toute cette symbolisation qui fait de l’orgasme masculin quelque chose de « jalousable » par la femme, au point d’inventer, là encore, une compétition quantitative (concernant par exemple le nombre d’orgasmes auquel elle aurait accès, sans être sujette à la détumescence masculine). Mais tout ceci, encore une fois, se joue à propos de l’orgasme comme signe de libération masculine de la sexualité.





Ça fait
longtemps que la civilisation occidentale hait le sexe, comme elle hait le
corps, le séparant de manière commode, pour créer une opposition binaire
"corps/esprit" qui a pâti de l''effondrement de l''"âme" comme mot de notre
vocabulaire assez courant. Le désir sexuel, que ce soit celui de l''homme ou de
la femme, est vécu comme une humiliation, un assujettissement qui atteint la...
liberté du sujet. (Bon, tu dois savoir le peu de prix que j''attache aux
gargarismes sur la liberté en ce moment...) Tu te souviendras que Sigmund a
fait du désir sexuel un phénomène.. phallique. Autrement dit, Sigmund
percevait dans le désir sexuel, chez l''homme, et chez la femme, un caractère
masculin. Cela ne me choque pas plus que ça, et je souscris à sa vision du
sexe. On pourrait dire que chez la femme... le désir d''être pénétrée est
phallique, et actif. Je dis bien... le désir...
On est bien d’accord -et j’avais un peu oublié que Sigmund avait précédé Jacques en l’affaire, tu as raison-. Ce n’est pas du tout choquant parce que c’est absolument inévitable et logique :
Nous ne pouvons pas désirer autre chose que notre propre réalisation dans le symbolique (qui est notre lieu d’existence), et dans le symbolique, notre « être » se situe là où il dépend le moins possible de contingences extérieures. La jouissance copulatoire (toujours inspirée par le désir jusqu’à consommation complète) est « phallique » parce qu’elle peut être symbolisée en tant qu’acte comme accomplissement de soi (victoire pour le Don Juan, rentrée dans la terre promise pour Casanova) en tant qu’être autonome.



Par contre, dans la
réalisation de l''acte sexuel, celle/celui ? qui est pénétrée, celle/celui
qui REÇOIT le...pénis ? la langue, etc est dans une position féminine. Ce qui
est féminin est aussi... dessous... (c''est piquant d''imaginer une femme
juchée sur son homme, hein ? ;-), voilà une bête à deux dos hautement
paradoxale). Le sexe fait de nous des êtres sens dessus dessous.
C’est vrai, mais….. le désir étant présent à tout moment dans l’accouplement -ou alors il se termine d’une façon ou d’une autre par castration- il inspire et soutient constamment sa symbolisation : ce qui explique ce côté « combat des chefs », même si le masochisme féminin est une condition, souvent, pour que l’homme bande, tout simplement (au risque de contractions vaginales après coup, d’ailleurs, réponses de la bergère au berger !). Quant à la « féminisation » de l’homme dans l’accouplement, il peut aussi se lire comme une courtoisie, à savoir, comme la reconnaissance, précisément, que le phallus est un objet commun au deux sexes !

On ne peut pas
faire correspondre à 100% "homme/masculin" et "femme/féminin". Ça ne marche
pas comme ça...
Ben oui, puisque dans la séquence copulatoire, dans le moment de la rencontre, donc… il n’y a que du masculin comme objet du désir d’un homme et d’une femme « réels ». Et non, parce que justement, s’il n’y avait pas cette réalité biologique radicalement différenciante en termes de destinées physiques (et non pas en tant qu’apparence des organes), il n’y aurait pas non plus de focalisation sur le sexe masculin symbolisé…. Comme libération de toute sexualité !!!


L''enjeu de la pornographie est d''attaquer le fantasme comme
représentation projetée sur l''écran virtuel mais INVISIBLE qu''est la
psyché. Et on est confronté au problème du visible/invisible, et sa
signification dans notre capacité de croire sur parole, par exemple... "Seeing
is.. BELIEVING" est un maxime fondateur pour l''Occident en ce moment. Au fur et
à mesure qu''on continue à saturer le monde d''images, représenter devient de
plus en plus difficile pour M et Mme Tout le Monde.
Ce n’est pas tant l’image en soi d’un réel, à mon sens, qui fait problème -ni même sa saturation en ce seul sens-, que le fait que les images pornographiques sont toujours des tableaux de la scène copulatoire, et pratiquement jamais au-delà ni en deçà (si l’on excepte des amorces grotesques et ridicules « d’histoires » introduisant à la scène elle-même). Elles nous assènent donc le message unique, infiniment répété, selon lequel c’est exclusivement la rencontre des corps et des organes qui constitue la sexualité. Ce message est une véritable doxa autoritaire : c’est une réprésentation, mais forcée, obligatoire, une « pensée unique ».
C’est en cela qu’elles sont, en un sens, toujours au service de la sexualité masculine comme libération de toute sexualité « après l’acte ». Mais elles portent au milieu de leurs clips la formule en gros plan d’une haine de la sexualité symbolisée (tu as raison sur ce point), pour la raison suivante :
En répétant indéfiniment et par myriades l’affirmation phallique de la suprématie de l’instant copulatoire (Fuckers’ supremacy ?), la porno internétisée NIE la liberté masculine ou phallique du « hors sexe »qu’il est sensé incarner. Et le plus terrible, c’est qu’elle s’appuie sur un « réel » : à savoir que la contrainte hormonale est évidemment aussi prégnante pour les hommes que pour les femmes, et que le « besoin » sexuel occupe tout le temps masculin comme celui de la femme : la nature -cette terrible mécanique- a horreur des testicules pleines comme des utérus vides ! Autrement dit, même en se pliant à tous les fantasmes -surtout ceux qui soutiennent l’industrie du sex toy- la porno mondialisée humilie en le dénigrant l’idéal phallique des hommes et des femmes et le jeu courtois qu’il permet dans leur rencontre. Pour débander à terme, il n’y a rien de mieux.



(Oui, je sais que ce discours a une dette envers la culture monothéïste, mais je ne suis pas..
hostile à cette culture. Elle préserve des noyaux de sagesse qui m''importent
au plus haut point tout de même.)
On ne lèvera pas ici le lièvre de la religion : il est trop gros ! (juste en passant : les monothéismes ont tous été littéralement fascinés par l’image, pour l’exalter ou l’interdire. Mais iconoclastes ou iconodules avaient tous des idées « invisibles » sur le sens à lui donner. Idem pour le monde post-moderne : sa raison cachée et très invisible, c’est que nous devons être toujours « autorisés ». En nous faisant croire que nous sommes autorisés à « presque » tout, ce pouvoir nous dit que la liberté (incarnée sans doute à tort par le phallus) nous est définitivement et mondialement interdite.)

Pour la domination idéologique du..
phallique chez les deux sexes, je me demande si, tôt ou tard, les hommes ne
vont pas prendre le chemin de la maison, ayant compris qu''à la maison... on
peut être plus ? aussi ? libres que dans la sphère.. publique. Au moins avoir
autant de pouvoir...(après tout, un être ayant un peu branché ses neurones
sait que le pouvoir est un phénomène relatif et contextuel...) Et je ne sais
pas si l''asexuel est tant à redouter que cela...
L’asexuel est le contraire exact de « l’au-delà de la sexualité » que contient le phallus comme symbole de la masculinité en tant que victoire de chaque Un sur la destinée « reproductrice ». L’asexuel est une privation du moyen phallique de sublimer la sexualité ou de s’en libérer. L’asexuel est le symbolisme du pouvoir absolu. Le problème est que le « fantasme pour tous », est une séduction qui capte le jeu spontané des hommes et des femmes à ce propos pour les diriger ensemble de façon forcée vers la situation qui renforce le pouvoir « sur tous ». Cette séduction est d’autant plus subtile qu’en effet la copulation, acte intime s’il en est, est un jeu des deux sexes autour du même phallus. Mais la proposition du pouvoir consiste à utiliser ce je pour nous ramener au « même », par exemple en lançant successivement : « soyons tous hommes », et « soyons tous femmes ». Ce qu’il vise en un troisième temps est bien « soyons tous Tout », parce que l’ «étape ultime est : « soyons tous…rien » (on voit bien cette évolution en germe dans la formule de l’Internationale : nous ne sommes rien, soyons tout », dont le communisme réel a été un développement significatif.)
Et si les femmes prenaient le
pouvoir (public....) ? Si l''égalité était un smokescreen, une
méconnaissance d''une rivalité intraspécifique (à comprendre dans le sens de
Konrad Lorenz, comme compétition au sein de l''espèce) ? ... Notre incapacité
de penser le féminin est une vraie pierre d''achoppement en ce moment. (Perso,
je vote pour.. celle ? celui ? qui parvient à réhabiliter le féminin...) Et
il est encore plus triste que tant de femmes elles-mêmes pensent si... mâle le
féminin.. Ce n''est pas parce qu''on est en dessous qu''on est inférieur, ou
qu''on doit se penser.. inférieur..(Songe que Jésus, dans St. Jean, lavait les
pieds de ses disciples, en esclave, avant son dernier repas avec eux...je doute
fort qu''il se pensait inférieur à ce moment là...) Ahhh, ces fichus mots,
ils continuent à être si traîtres... Et "on" ne va pas y échapper....

Je ne crois guère à la compétition intraspécifique sauf sur des aspects mineurs en termes évolutionnaires. En revanche, la culture parolière -et donc parabolique à visée symbolique- transforme effectivement les hommes et les femmes réels (processus complexes et disparates) en entités formellement semblables et donc concurrentes à condition d’être vidés de leurs différences.
Jouer le Féminin comme « on » peut (y compris par les positions ou la focalisation du plaisir d’organe, ou tant de possibilités encore), ne peut-il être que masochiste ? Problème pour Freud … Problème insistant, car dès lors que l’on ne veut pas la guerre à outrance entre les sexes autour du même phallus, il faut bien que l’un ou l’autre cède quelque peu. Une dose de masochisme peut être une stratégie pour céder sans y perdre trop. Une autre stratégie est de réintroduire la différence entre la séquence de rencontre et la sexualité comme réalité plus diffuse… mais on dira alors que Freud a voulu cantonner la femme dans son rôle maternel… Si on récuse le cantonnement, on peut au moins admettre que si la féminité se conçoit plus largement qu’au seul moment de la libération des gonades masculines, elle peut aussi discuter et bâtir un symbolisme de l’extra-sexualité qui n’entre pas systématiquement en guerre avec la variante mâle de la liberté.



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