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Le fétichisme de la marxandise

La religion de la marchandise cache la réalité de la société, nous dit Marx. Mais il ne nous dit pas ce que nous cache la religion de la société, que Durkheim subodore et que Tönnies hypostasie (avant que n'explosent les totalitarismes nationaux). Marx und Macht aurait pu écrire Canetti. Un mauvais jeu de mots, certes, mais peut-être pour mieux soutenir une question passionnante : si la société est une masse humaine mondiale, est-elle vraiment la destinée du genre humain ? N'est-elle pas plutôt, au travers des élites qui en vivent et la font valoir comme idéalité, son ennemie ?



Marx, dont j’ai enseigné la pensée aux élèves des écoles centrales du Parti Communiste (un demi-siècle avant que France Culture n’en fasse le miel de son pédagogisme impénitent à l’occasion de l’anniversaire de la révolution léniniste), nous propose de considérer le marché comme une religion qui s’ignore. Comme celle des dieux démystifiés par Feuerbach, le culte du marché ne veut pas savoir qu’il montre la solidarité de fait des humains au travail qui l’inventent, ce refoulement s’exerçant par la fiction de l’indépendance des acteurs dans leur jeu d’échange des marchandises. Que l’auteur du Capital parle davantage de marchandise que de marché est en soi significatif : il se concentre sur un objet qui circule comme une balle entre des gens qui s’ébaubissent plus ou moins, et pas sur la structure de circulation, laquelle révélerait au moins l’existence d’un système global des dépendances réciproques. En quelque sorte, Marx amplifie de lui-même l’effet d’illusion qu’il dénonce, et qui, bien sûr, sera prolongé et systématisé par les économistes libéraux, théoriciens de l’individualisme.
Mais étrangement, cet effort même des libéraux, à grands renfort de « presque » prix Nobel, n’a fait qu’amplifier peu à peu le soupçon que le marché n’était lui-même qu’un fétiche, ou pire : un grigri chargé d’amuser les foules pour faire oublier la réalité de l’arnaque massive qu’il permettait, et dont les crises financières de plus en plus tragiques et « systémiques » témoignaient abondamment. Or, soupçonner que le marché n’est qu’une mauvaise représentation de la société, un biais fallacieux, c’est du même coup accepter tacitement qu’il pourrait en exister une bonne. Ce qu’opère le spéculateur pro-Etat que fut John Meynard Keynes. Mais vouloir montrer que le marché peut « mieux » fonctionner en étant régulé ne fait que renforcer l’idée qu’il existe peut-être aussi de « mauvaises régulations ».Aporie logique dans laquelle s’est engouffrée toute l’école du mont Pèlerin, et le bien connu (et ennemi intime du précédent) Von Hayek. Cependant, à son tour, en voulant démontrer que le fonctionnariat détourne à son profit l’idéal de justice et de solidarité sociale, Hayek se heurte au cercle vicieux, ce que prouve la théorie des choix publics (Buchanan et Tullock), qui réintègre simplement dans le marché la logique des comportements individuels des Politiques et des Administratifs.
Au terme actuel de cette oscillation, de cette spirale, il apparaît progressivement une conclusion plausible mais récusée jusque là, et notamment refoulée par la solution marxiste : à savoir que la société (incarnée ou non par le temps de travail « socialement nécessaire ») est aussi une fiction, un fétiche, le fétiche de la marxandise pour avancer un mauvais jeu de mots. Et que cette fiction, loin d’amener le bonheur des humains, conduit plutôt à propager le malheur de la masse, qu’elle soit gérée par des cornacs officiels ou par de gigantesques dispensateurs de consommation.
Mais qui, aujourd’hui encore, se risquerait à mettre en question la réalité de ce que l’anthropologue britannique Mary Douglas appelait « la grosse bête du social » ? Nous en avons peur, voila la vérité, aussi bien dans ses dérives consuméristes bétonnées, que dans ses mobilisations identitaires bottées et casquées au nom de la solidarité du peuple. Déjà la chanson communarde sympa aurait dû nous inquiéter par cette strophe : « nous ne sommes rien, soyons tout », puisque à l’évidence c’est plutôt le totalisme qui nous réduit chacun à n’être rien (que des larves au sein de la Matrix) -non je n'ose pas marxtrix...
Mais une économie de la pluralité et de l’autonomie n’a pas encore vraiment apparu. On s’acharne encore à dissoudre les petites solidarités dans les grandes supposées plus « efficaces », on empêche de facto la dissidence pourtant légale. Bref, on ne semble pas encore avoir vraiment compris que le fétiche ultime, le dieu fantoche encore résistant à la critique humaine, c’est justement ce « Tout » et ce « Tous » dont nous tartine encore France Culture, en toute inconscience d’être totalitaire, sans doute.
Qu’il subsiste une inquiétude légitime sur les replis identitaires, soit. Mais qu’elle ne cache pas que la mondialité ne sera vivable, supportable, qu’à condition de reconnaître (bien au-delà des miniatures de la totalité fusionnelle que sont les nations, aujourd’hui devenues arrondissements de la globalité) la souveraineté des solidarités locales et des pluralités de manières de vivre. Pluralités qui nous indiquent la forme, le territoire et les limites de futurs peuples de la vie quotidienne : ceux de la nature, de la culture, de la ville, du village, etc.


Jeudi 12 Octobre 2017 - 17:22
Vendredi 27 Octobre 2017 - 10:22
Denis Duclos
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CRISE DU CAPITALISME ET CONSOLIDATION DU SYSTEME-MONDE


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