De "la grande transformation" selon Karl Polanyi à la pluralité mondiale : destinée d'une dystopie

La première visée totalisante au plan planétaire fut celle du libéralisme -nommé économie classique-. La première utopie "scientifique", fondée de Thomas Hobbes à John Locke, d'Adam Smith à David Ricardo à Jeremy Bentham, puis à John Stuart Mill (bien d'autres encore) à avoir pensé d'avance une coïncidence entre l'idée de société et celle d'une règle de fonctionnement unique. Cette règle finit par être théorisée comme le marché -sociétal et international- conçue en tant que machine automatique (à la ressemblance d'un idéal physique et cosmologique). Cette utopie s'avéra aussi, en se voulant expérience réaliste, une dystopie aux effets massifs et interminables.
Karl Polanyi est sans doute l'un de ceux qui en a le mieux synthétisé l'aventure dramatique en y incluant les réactivités socialistes et fascistes. Il a connu la résurgence néo-libérale (du Mont Pélerin et de Von Hayek), mais, mort en 1963, il n'a vécu ni la répétition du moment ultra-libéral ( à partir de 1989), ni la forme actuelle de son inéluctable échec, laquelle, à la différence des solutions impériales et militaires du
XX e siècle, ne peut sans doute viser un brutal rétablissement dans la paupérisation extrême et/ou la guerre mondiale.
Il n'a donc pas envisagé l'avènement réel de l'utopie globale d'une "gestion" généralisée, mélange encore inédit de mécanique des marchés et de technobureaucraties s'installant directement à l'échelle planétaire, tout en utilisant les arrondissements administratifs des Etats-Nations.
Karl Polanyi -humaniste chez qui l'on trouve déjà les accents moraux des actuels néo-keynésiens (Joseph Stiglitz, Paul Krugman ou en France Paul Jorion)- ne pouvait pas non plus imaginer que la seule utopie qui ne tournerait pas au cauchemar mondial digne du Meilleur des Mondes de Huxley, serait de protéger la terre, le travail et les moyens de paiement par une division territorialisée des dimensions humaines irréductibles : ce que nous appellerons "pluralité".